JEAN-LUC MÉLENCHON

« La Constitution a été changée 22 fois sans que l’on demande l’avis du peuple français »

 

Lors de la journée de l’Écologie de la France insoumise, le samedi 25 février, Jean-Luc Mélenchon a mis en avant son projet : « refonder la Nation et la République avec une assemblée constituante ». Fustigeant le fonctionnement des institutions de la Ve République, il a estimé que la Constitution actuellement en vigueur avait été révisée 22 fois sans demander l’avis des Français. Une affirmation imprécise.

 

LE CONTEXTE

En meeting au parc floral de Paris le 25 février, le candidat La France insoumise a déclaré : « La Constitution a été changée vingt-deux fois sans que l’on demande l’avis du peuple français. Si bien que l’on a maintenant cette étrange chose, cette monarchie présidentielle avec des mâchicoulis moyenâgeux, le 49-3 qui permet de passer une loi sans que personne n’en veuille… ».  Les référendums font effectivement exception pour adopter définitivement un texte de révision de la Constitution. Il n’y a eu que deux référendums sur vingt-quatre révisions. Cependant, quand le peuple n’a pas été consulté, les parlementaires, élus par le peuple, l’ont été.

 

L’EXPLICATION

Quand Jean-Luc Mélenchon affirme que « la Constitution de la Ve République a été changée vingt-deux fois sans que l’on demande l’avis du peuple français », c’est imprécis. Depuis 1958, la Constitution a été révisée au total à vingt-quatre reprises. Sur ces vingt-quatre révisions, deux ont été faites par le biais d’un référendum. Toutes les autres fois, les parlementaires ont été consultés.

L’initiative de révision émane soit du président de la République sur proposition du Premier ministre (on parle alors de projet), soit des membres du Parlement (on parle alors de proposition). Dans les deux cas, le texte de la révision doit être débattu puis voté par l’Assemblée nationale et par le Sénat, dans les mêmes termes. Une fois le texte adopté par les deux chambres, il doit être ratifié.

Pour que le texte soit ratifié, il doit être voté par référendum en cas de proposition. Le président de la République peut choisir de passer par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés lors d’un Congrès réunissant à Versailles Assemblée nationale et Sénat, s’il s’agit d’un projet. Cette procédure relève de l’article 89 de la Constitution, article majoritairement utilisé pour les révisions de la Constitution. Mais depuis le début de la Ve République, deux révisions ont été adoptées sans utiliser cet article-là. Il s’agit des révisions de 1960 et de 1962.

 

Le référendum, pas forcément la meilleure solution

Le premier texte de révision adopté définitivement par référendum date de 1962. Cette révision a été réalisée en application de l’article 11 de la Constitution, article qui définit la procédure de référendum. En 1962, le général de Gaulle souhaite instaurer le suffrage universel direct lors de l’élection présidentielle. Il utilise cet article 11 pour contourner le Parlement qui n’était pas favorable à cette révision. Cet article permet de soumettre à référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics » sans devoir passer par un débat parlementaire.

Le deuxième texte adopté par référendum en application de l’article 89 de la Constitution date de 2000. Le texte visait à réduire à cinq ans le mandat présidentiel. « S’il y a eu si peu de référendums, c’est en partie parce que les gouvernants veulent être sûrs de faire passer une réforme constitutionnelle et éviter d’échouer devant le peuple, détaille Florence Chaltiel-Terral, professeure de droit public à l’IEP de Grenoble. Il est beaucoup plus facile de faire adopter une réforme constitutionnelle devant les chambres que par le biais d’un référendum. »

Les Français ont donc été consultés deux fois sur vingt-quatre révisions. Cependant, lorsqu’ils n’ont pas été consultés directement, ce sont les parlementaires qui ont été interrogés, ces derniers étant élus par le peuple. « La démocratie est soit directe soit représentative. L’article 3 de la Constitution dit que la souveraineté nationale appartient au peuple français qui l’exerce soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants, explique Florence Chaltiel-Terral. Juridiquement, si l’on va au bout de la logique, le peuple a exercé sa souveraineté par l’intermédiaire de ses représentants. »

Jean-Luc Mélenchon préconise implicitement la démocratie directe. Mais demander au peuple de se prononcer sur une révision de la Constitution est-il réellement la meilleure solution ? Pas sûr, pour Florence Chaltiel-Terral. « Un référendum peut s’avérer très dangereux. Il peut ouvrir la porte à des débats complètement dévoyés. Cela peut aussi être une manière pour un peuple de faire savoir son mécontentement à un gouvernement, plutôt que de s’intéresser vraiment à la question de la révision. » En outre, selon elle, il peut être risqué de demander au peuple de se prononcer sur une question complexe dont il ne connaîtrait pas forcément les nuances et pour laquelle il ne sentirait pas forcément concerné. « Si l’on prend la réforme constitutionnelle de 1996 sur la sécurité sociale, on voit mal le peuple concerné par cette révision. »

On s’aperçoit donc que Jean-Luc Mélenchon est imprécis lorsqu’il affirme que la Constitution a été révisée à vingt-deux reprises « sans que l’on demande l’avis du peuple Français ».

 

Chloé Marriault