MARINE LE PEN

« Dans les années 1960, dans les grandes écoles, il y avait 25 % de fils d’ouvriers et d’employés. Aujourd’hui, c’est 5 % »

 

Marine Le Pen, la candidate FN pour la présidentielle, a critiqué le bilan de la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem. D’après elle, le taux d’enfants d’ouvriers et d’employés à avoir intégré les grandes écoles a chuté depuis les années 1960. En réalité, c’est la proportion de jeunes d’origine populaire qui a diminué. Si les enfants d’ouvriers et d’employés en font partie, leur part dans les effectifs des grandes écoles stagne néanmoins à environ 10 %.

LE CONTEXTE

Marine Le Pen était l’invitée de David Pujadas et de Léa Salamé, le 9 février, sur le plateau de « l’Émission politique » sur France 2. Lors du face-à-face politique, où elle était amenée à débattre avec Najat Vallaud-Belkacem, la présidente du FN a été très critique envers l’Education nationale. Elle évoque un « effondrement de l’école publique française », qui « finirait par créer la sélection par l’argent ou par la naissance ». Pour appuyer ses propos, elle souligne que « dans les années 1960, dans les grandes écoles, il y avait 25 % de fils d’ouvriers et d’employés. Aujourd’hui, c’est 5% ».

 

L’EXPLICATION

En matière d’origine sociale des étudiants qui réalisent un cursus dans l’enseignement supérieur, les données sont relativement peu abondantes. Toutefois, il est possible de trouver à la fois des chiffres à propos des étudiants d’origine populaire et d’autres à propos des différentes catégories d’étudiants d’origine populaire au sein des effectifs des grandes écoles et de l’Ena notamment. C’est uniquement lorsque l’on croise ces chiffres et que l’on observe leur évolution depuis les années 1960 que l’on peut conclure que l’affirmation de Marine Le Pen est inexacte.

Pour définir les étudiants d’origine populaire, un texte des sociologues Michel Euriat et Claude Thélot, publié en 1995, évoque certes les enfants d’ouvriers et d’employés, mais aussi les enfants de paysans et d’artisans commerçants. Et, selon les deux chercheurs, « la proportion (de ces) jeunes d’origine “populaire” dans les quatre grandes écoles retenues (Polytechnique, l’Ecole normale supérieure, HEC et l’Ena) a beaucoup diminué : environ 29 % des élèves étaient d’origine populaire dans la première moitié des années cinquante, 9 % aujourd’hui (en 1995, ndlr) ».

Comme le montre le schéma ci-dessous, il y a effectivement une baisse des élèves d’origine populaire plus forte au fil du temps dans les grandes écoles qu’à l’université.

Toutefois, cette présence de plus en plus faible des jeunes d’origine populaire dans les grandes écoles et à l’université ne s’explique pas forcément par les politiques de l’Education nationale. Car cette plus grande difficulté d’accès est liée, selon les sociologues, à leur plus faible représentation au sein d’une génération. Dans les années 1960, ils comptaient pour 91 % d’une génération, contre 68 % en 1995. Il est donc logique que, proportionnellement, les jeunes d’origine populaire soient moins représentés dans les grandes écoles aujourd’hui qu’il y a 60 ans.

« Il n’y a pas d’effrondrement »

Par ailleurs, les données qui concernent les différentes catégories d’étudiants d’origine populaire au sein des effectifs des grandes écoles montrent, elles, une diminution fluctuante selon que l’on parle des enfants d’employés et d’ouvriers ou bien des enfants d’agriculteurs et d’artisans commerçants.

Ainsi, pour ce qui concerne l’Ecole nationale d’administration (Ena), on observe certes que la part d’enfants d’agriculteurs et de commerçants et artisans diminue, mais que le pourcentage d’enfants d’ouvriers et d’employés, lui, reste stable.

« Il n’y a pas d’effondrement, mais une certaine stabilité », souligne de ce fait Louis Maurin, rédacteur en chef de l’Observatoire des Inégalités, avant de préciser : « On tourne entre 10 % et 12 % dans les grandes écoles (en général) ».

 

L’observatoire des inégalités note également que, de manière stable, « dès les classes préparatoires aux grandes écoles, les catégories les moins favorisées sont quasiment absentes : on y compte 6 % d’enfants d’ouvriers, 10 % d’enfants d’employés, contre près de 50 % d’enfants de cadres. Tout naturellement, ce déséquilibre se retrouve ensuite – et il est même amplifié – quand on s’élève dans l’élite scolaire ».

En somme, la présidente du FN annonce un constat qui pourrait se tenir s’il concernait l’ensemble des jeunes d’origine populaire. Mais  elle se trompe en voulant l’appliquer aux seuls enfants d’ouvriers et d’employés. Dans les années 1960, et aujourd’hui encore, ces derniers représentent environ 10 % des étudiants parmi les effectifs des grandes écoles. A l’inverse, la proportion du reste des jeunes d’origine populaire, à savoir les enfants d’agriculteurs et d’artisans commerçants, diminue, principalement pour des raisons de moindre représentativité des métiers exercés par leurs parents.

Jeanne Laudren