MARINE LE PEN

« Les PME sont le principales foyer d’innovation en France mais ces dernières ne touchent que 30 % du Crédit Impôt Recherche »


Lors des débats organisés par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Marine Le Pen a développé ses mesures en faveur des TPE et PME, arguant que les grands groupes étaient trop privilégiés. Mais au moment d’évoquer la question de l’innovation, la présidente du Front National a fait preuve d’incomplétude dans ses propos, évoquant le seul Crédit Impôt Recherche (CIR) comme moyen de la financer.

 

LE CONTEXTE

Lundi 6 mars, François Fillon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont présentés à la tribune de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Pendant trente minutes, la présidente du Front National a alors développé son programme en faveur des PME. Elle a annoncé vouloir “donner la priorité aux TPE et PME françaises dans la commande publique” regrettant que ces dernières soient “les grandes oubliées des politiques publiques” malgré leur statut “d’âme économique de la France”. “Les PME sont le principal foyer d’innovation en France, mais ces dernières ne touchent que 30 % du Crédit impôt recherche (CIR)”, a notamment déploré Marine Le Pen.

 

L’EXPLICATION

Marine Le Pen a utilisé dans son discours des termes économiques précis, comme l’innovation et la recherche. Tout d’abord, il est nécessaire de faire une distinction entre ces deux notions.

– L’innovation est, selon le manuel d’Oslo de l’OCDE, “la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures”.

 

 

– La recherche et développement (R&D) est, selon le Manuel de Frascati de l’OCDE, “l’ensemble des travaux de création entrepris de façon systématique en vue d’accroître la somme des connaissances, y compris la connaissance de l’homme, de la culture et de la société, ainsi que l’utilisation de cette somme de connaissances pour de nouvelles applications”.

Bien sûr, les deux termes sont souvent liés : sans recherche préalable, l’innovation peut difficilement voir le jour. Les aides allouées à la R&D servent donc par conséquent l’innovation. Mais Marine Le Pen oublie un paramètre :  si l’on fait le distinguo entre les deux termes, c’est aussi parce qu’il existe des financements différents, certains étant alloués à la recherche et d’autres à l’innovation. Le Crédit impôt recherche (CIR) dont parle la présidente du FN, est dédié aux dépenses de recherche, et non pas à celles concernant l’innovation, même s’il peut indirectement y contribuer.

Là où Marine Le Pen a raison, c’est lorsqu’elle pointe du doigt les disparités importantes dans les créances, c’est-à-dire les remboursements, qui viennent amortir les dépenses liées à la recherche. En effet, les PME et TPE ne bénéficient que de 31 %, des 5,5 milliards d’euros du total des remboursements, soit 1,7 milliards d’euros.

Par ailleurs, la prise en charge du CIR couvre la même part de dépenses, quelle que soit la taille de l’entreprise, à l’exception des plus grandes (plus de 5000 salariés), couverts à hauteur de 24%.

Par exemple, les TPE (moins de 10 salariés), qui déclaraient un peu plus d’un milliard d’euros de dépenses en R&D en 2013, ont bénéficié d’une créance de 307 millions d’euros. En parallèle, les grandes entreprises, qui n’était que 97 à percevoir le CIR, et qui ont déclaré près de 8 milliards de dépenses, se sont partagés une créance de 1,9 milliards d’euros.

Ainsi, les entreprises les plus grandes, moins nombreuses, plus riches et donc plus dépensières en recherche, sont davantage remboursées (en valeur absolue) que les petites et moyennes entreprises.

Des solutions alternatives pour les TPE et PME

Néanmoins, lorsque Marine Le Pen déplore que les PME sont “les grandes oubliées des politiques publiques françaises”, elle fait une analyse légèrement confuse de la situation. Sur les 15 245 entreprises à avoir bénéficié du CIR, 89,8 % sont des TPE et des PME et 8,6 % des Entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Par ailleurs, d’autres dispositifs ont été mis en place pour soutenir les petites et moyennes entreprises dans l’innovation. Par exemple, le Crédit impôt innovation (CII), mis en place en 2013, et dont Marine Le Pen ne parle pas, est exclusivement dédié aux PME et TPE. En moyenne, les dépenses d’innovations déclarées avoisinent les 108 000 euros, et les remboursements couvrent, toujours en moyenne, 22 000 euros. Soit un cinquième des dépenses d’innovation des entreprises. Au total, 75 millions d’euros ont été versés à 3045 PME et TPE, dont 21,6 millions aux seules TPE.

Les secteurs du textile, de l’habillement et du cuir, qui ne sont pas éligibles au CII, peuvent quant à eux prétendre au Crédit d’impôt collection (CIC). En 2013, 65,2 millions d’euros ont été alloués à 1062 entreprises de toutes tailles (majoritairement des TPE-PME) au titre de l’innovation.

La banque publique d’investissement Bpifrance, créée en 2013, apporte également un soutien important aux TPE, PME et ETI, sous forme d’aides directes. Selon son rapport de 2016, cette dernière a financé l’innovation de 6041 entreprises à hauteur de 1,3 milliards d’euros et a accordé 12,3 milliards d’euros sous forme de prêts au nom de l’innovation. “Dans ce total, on compte très peu de grands groupes, voire pas du tout dans la plupart des régions” précise Bpifrance, jointe par Factoscope.

En résumé, Marine Le Pen a raison d’évoquer les disparités existantes dans la répartition du CIR. Le fonctionnement du crédit d’impôt, qui prend en charge la même part de dépenses que ce soit pour les TPE/PME, les ETI ou les grandes entreprises, créé forcément des inégalités puisque les grands groupes dépensent davantage et sont donc davantage remboursés.

En revanche, si l’on parle d’innovation, comme le fait Marine Le Pen, c’est une erreur de ne citer que le CIR, qui n’est pas un financement direct à l’innovation, même s’il peut y contribuer à terme. Il aurait également fallu évoquer le Crédit impôt innovation, dédié aux entreprises qui emploient jusqu’à 250 salariés, ainsi que les aides à l’innovation de la Bpifrance.

 

Antonin Deslandes