A chaque fois que vous augmentez le coût du travail, vous détruisez de l’emploi

21 Jan 2018

 

BRUNO RETAILLEAU

« A chaque fois que vous augmentez le coût du travail, vous détruisez de l’emploi »

Interrogé sur BFM TV, mardi 12 décembre 2017, le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, a affirmé que la hausse du coût du travail pourrait avoir des effets négatifs sur l’emploi. Seulement, la corrélation ne paraît pas forcément évidente.

LE CONTEXTE

« La revalorisation du Smic doit-elle continuer à être systématique ? » À la question de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, mardi 12 décembre 2017, la réponse de Bruno Retailleau est claire : « Non, car à chaque fois que vous augmentez le coût du travail, vous détruisez de l’emploi. » Une proposition qui va dans le sens d’un rapport remis par le groupe d’experts de la Commission nationale de la négociation collective, début décembre 2017. Ce rapport préconise la fin de la revalorisation automatique du Smic. 

L’EXPLICATION

Selon Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, l’augmentation des dépenses liées à la main d’œuvre, et notamment l’augmentation du Smic, contribuerait à freiner la croissance des entreprises. Pour Anne Eydoux, chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail (Ceet), rattaché au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et au ministère du Travail, « suggérer qu’une hausse du Smic ou des cotisations détruirait des emplois n’est pas vérifié ».

En effet, si l’on superpose différentes statistiques nationales, en France comme en Europe, on remarque que coût salarial élevé ne rime pas forcément avec chômage. Parmi les pays avec les dépenses salariales les plus élevées, mais aussi les taux de chômage les plus bas (chiffres Eurostat d’octobre 2017), on retrouve le Danemark avec un coût salarial de 42 euros de l’heure et un taux de chômage de 5,6 %, ou la Suède avec 38 euros de l’heure et un chômage à 6,7 %. La France occupe la 5e position avec 35,60 euros et 9,4 % de chômage.

Nous pouvons prendre l’exemple de l’Allemagne où le coût du travail est relativement élevé (30,5 euros) et le taux de chômage bas (5,4%). Le pays a fait le choix d’une compétitivité hors-coût, c’est-à-dire qui n’est plus fondée sur les différence de coûts d’un pays à l’autre, mais sur des caractéristiques techniques et logistiques (qualité, innovation, délais de livraison, etc.). Ainsi, l’Allemagne n’a pas eu besoin de baisser son coût du travail pour rester compétitive. Pendant la crise, les entreprises allemandes ont très peu licencié : elles ont préféré diminuer le temps de travail, vider les comptes épargne-temps et utiliser le chômage partiel plutôt que toucher au coût du travail.

D’après Jean-Yves Archer, économiste spécialisé en finances publiques et à la tête du cabinet privé « Archer », le raisonnement de Bruno Retailleau n’est pas pertinent. Pour lui, il faut distinguer le coût du travail selon les secteurs d’activité et les pays. « Pour les personnels cadres de la Tech (technologie, NDLR) de hauts salaires sont nécessairement attractifs et permettent de retenir les talents. A l’inverse, dans les secteurs exposés à la mondialisation (Whirlpool à Amiens, Tupperware à Joué-les-Tours), le niveau relatif des salaires en France est un obstacle en comparaison des niveaux de salaires en Pologne, Tchéquie ou Chine », analyse-t-il. Ainsi, sans même toucher au coût du travail en France, l’emploi peut être menacé par le seul phénomène de dumping social hors de nos frontières.

Enfin, il est à noter que le principal « frein à l’embauche » que citent les employeurs en France c’est l’incertitude économique, et non pas le coût du travail, comme l’indique une enquête de l’Insee de juin 2017En conclusion, le coût du travail n’est pas considéré comme la première cause de destruction ou non de l’emploi, davantage tributaire de la conjoncture économique. Bruno Retailleau n’est donc pas suffisamment précis lorsqu’il affirme que l’augmentation du coût du travail est à l’origine de la destruction d’emploi.

Clotilde Costil

Les sources à consulter

  • Eurostat : coût du travail et chômage en Europe
  • Portail du Gouvernement : « Rapport annuel sur l’évolution du salaire minimum de croissance »
  • Insee : « Enquête sur les barrières à l’embauche »