Ce qui fait baisser le nombre de morts sur la route, c’est les investissements [dans le réseau routier], ce n’est pas les sanctions ou l’abaissement des vitesses

19 Fév 2018

 

MARINE LE PEN

« Ce qui fait baisser le nombre de morts sur la route, c’est les investissements [dans le réseau routier], ce n’est pas les sanctions ou l’abaissement des vitesses »

Marine Le Pen était l’invitée du « Grand-Rendez-vous » d’Europe 1, dimanche 11 février 2018. A cette occasion, la présidente du Front national a dénoncé une des mesures du gouvernement, la limitation de vitesse à 80 km/h. Selon elle, le bilan positif de la sécurité routière ces derniers mois n’est pas le résultat de l’abaissement des vitesses mais des investissements dans le réseau routier. Ce qui est faux selon plusieurs études nationales et internationales.  

LE CONTEXTE

Face au journaliste David Doukhan sur Europe 1, Marine Le Pen a réitéré dimanche 11 février 2018 son opposition à la réforme qui vise à réduire les limitations de vitesse de 90 à 80 km/h, annoncée début janvier par Edouard Philippe, Premier ministre. Suite à cela, la présidente du Front national avait lancé le 10 janvier 2018 une pétition sur son site afin de convaincre de l’inefficacité de cette mesure. D’après elle, le seul objectif serait de « faire tourner les radars à plein » pour obtenir de l’argent et non pour réduire le nombre de tués sur la route. « Ce qui fait baisser le nombre de morts sur la route, c’est les investissements dans les réseaux routiers, dans l’éclairage, dans l’entretien des routes, dans la gestion des endroits dont nous savons tous qu’ils sont accidentogènes », s’est-elle justifiée.

L’EXPLICATION

Dès le 1er juillet 2018, la vitesse maximale autorisée passera de 90 à 80 km/h sur les routes secondaires à double sens où la mortalité routière est la plus forte. Cette décision gouvernementale contestée, notamment par le Front national ou par des associations d’automobilistes, s’inscrit dans un objectif fixé par le ministre de l’Intérieur de compter « moins de 2000 personnes tuées par an d’ici à 2020 ». Selon l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière (ONISR), plus de la moitié de la mortalité routière (55%), soit 1911 personnes tuées, est survenue sur ces routes, majoritairement limitées à 90km/h.

Dans un rapport datant du 29 novembre 2013, un comité d’expert de la Sécurité routière avait établi qu’une réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur central – limitée à 90 km/h – permettrait de sauver entre 350 et 400 vies par an. Pourquoi les sanctions autour de la vitesse permettraient-elles d’épargner des vies, contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen ?

Premier argument et non des moindres, la vitesse est, selon le dernier bilan 2016 de la sécurité routière, le premier facteur de mortalité sur les routes. En effet, la vitesse « excessive ou inadaptée » était impliquée dans un tiers (31%) des accidents mortels en 2016. Deuxième argument : les sanctions et l’abaissement des vitesses ont déjà porté leurs fruits. En 2017, selon les estimations provisoires de la Sécurité routière, 3 477 personnes ont perdu la vie en France métropolitaine, soit 16 de moins qu’en 2016 (-0,5%). Sur une période plus étendue allant de 2000 à 2016, les chiffres sont éloquents : on peut noter une baisse de 57% de la mortalité sur les routes, toutes catégories confondues (piétons, vélos, cyclos, automobilistes…).

Ce lien de causalité entre sanctions des automobilistes et réduction du nombre de décès sur les routes est démontré par des études. L’une des premières est celle du chercheur suédois Göran Nilsson dans les années 1980, basée sur des lois cinétiques (relation qui existe entre la vitesse et tous les facteurs qui ont une influence sur celle-ci). Il en conclut qu’une variation de 1% de la vitesse amène à une variation du nombre d’accidents corporels de 2 % et une variation du nombre d’accidents mortels de 4 %. Dans les années 2000, un autre chercheur suédois Rune Elvik affine la formule élaborée par Göran Nilsson et précise les coefficients de variation en fonction du type de réseau routier.

L’impact des radars est d’autant plus avéré dans l’étude faite par Laurent Carnis, chercheur à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar), et Étienne Blais, criminologue à l’université de Montréal, et publiée en 2015 dans la revue internationale de référence en matière de recherche sur la sécurité routière, Accident Analysis and Prevention. Lorsque le programme de contrôle automatisé de la vitesse est mis en fonctionnement, la France compte près de 7 242 tués à la fin de l’année 2002. En 2005, 5318 victimes tuées sont recensées. En 2015, le nombre de tués se stabilise autour de 3461 victimes décédées. Les résultats soulignent un gain d’environ 15 000 vies épargnées entre 2003 et 2010 et d’environ 62 000 blessés évités. Pour comprendre quel est l’effet attribuable à la baisse de la mortalité sur les routes, les deux experts ont mobilisé un outil économétrique : un mélange de théorie économique et de statistiques. Ils ont ainsi comparé deux courbes en déterminant sur chacune d’elle des variables qui expliquent les moments de l’accidentalité routière sur une certaine période, depuis l’installation des premiers radars jusqu’à 2010. Sur la première série, ils ont modélisé cette courbe sans l’effet du radar (variable fictive) et sur la deuxième, ils l’ont intégré comme en situation réelle. On modélise la série comme si il n’y avait pas eu de radar et cela permet donc de savoir précisément si la baisse du nombre de tués sur les routes est à attribuer à ce contrôle automatisé et par conséquent de prédire le nombre de vies qui ont alors été épargnées.

Contacté par Factoscope, Laurent Carnis a réagi à la déclaration de l’élue frontiste : « Bien sûr [que] l’amélioration du réseau contribue à réduire l’accidentalité mais il y avait déjà de l’investissement dans les routes avant les radars et toujours autant de décès, si ce n’est plus. Après, on a installé les radars et là, ça a effectivement amené à une réduction du nombre d’accidents de manière radicale. »

Si les radars ne peuvent pas permettre la réduction de toute l’accidentalité puisque le contrôle automatisé ne va pas jouer sur l’alcool ou les autres comportements à risque, ils ont toutefois permis de réduire de manière drastique la mortalité routière contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen.

Clotilde Costil

Les sources à consulter

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