Il y a beaucoup moins de sans-abris dans les rues aujourd’hui, qu’il n’y en avait il y a quelques mois

22 Jan 2018

 

JULIEN DENORMANDIE

« Il y a beaucoup moins de sans-abris dans les rues aujourd’hui, qu’il n’y en avait il y a quelques mois »

Pour défendre les actions du gouvernement en faveur des sans abris, Julien Denormandie, a assuré que ces derniers étaient moins nombreux dans les rues en France. Cette affirmation du secrétaire d’Etat chargé de la cohésion des territoires est fausse puisque les seules données disponibles font état d’une forte augmentation des personnes sans domicile.

LE CONTEXTE

C’était un des objectifs exprimés par le président de la République, Emmanuel Macron. « D’ici à la fin de l’année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois », avait-il déclaré à Orléans le 27 juillet 2017. Invité de la matinale d’Europe 1 vendredi 5 janvier, Julien Denormandie a déclaré que les mesures prises par le gouvernement pour réduire le nombre de personnes sans domicile fixe, étaient effectives. « Il y a beaucoup moins de sans-abris dans les rues aujourd’hui, qu’il n’y en avait il y a quelques mois. On le voit au quotidien avec les maraudes », a-t-il précisé.

L’EXPLICATION

Interrogé sur le nombre de personnes sans domicile en France, Julien Denormandie a affirmé que les mesures du gouvernement portaient déjà leur fruit. Pourtant, les « 13 000 places supplémentaires » d’hébergement d’urgence, déployées par l’Etat et défendues par le secrétaire d’Etat chargé de la cohésion des territoires ne semblent pas suffisantes pour enrayer le phénomène de « non-logement » en France. Contactée par Factoscope, la Fondation Abbé-Pierre a réfuté les propos du Secrétaire d’Etat chargé de la cohésion des territoires : « On ne peut vraiment pas dire ça, au contraire, c’est unanime au sein de toutes les associations qui interviennent par les maraudes. Ce qu’on peut constater au quotidien dans nos “boutiques solidarités” (accueil de jour de personnes à la rue, NDLR), c’est que non, il n’y a pas moins de personnes qui dorment dehors ».

Par ailleurs, il reste difficile de comptabiliser précisément le nombre de personnes à la rue ces derniers mois puisque les statistiques officielles les plus récentes remontent à 2012.

D’après le 22e rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre en 2017, la situation du mal-logement en France tend à s’aggraver. Basée sur une enquête « Sans domicile » de l’Insee, cette étude révèle que 3,8 millions de personnes sont « non ou très mal logées ».

Cette enquête de l’Insee réalisée en 2012 montre que parmi les 894 500 personnes privées de logement personnel, 141 500 personnes sont sans domicile, qu’elles vivent en situation d’hébergement, en Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), en abri de fortune, à l’hôtel ou à la rue. Six ans plus tôt en 2006, ce recensement avait dénombré 85 000 personnes en habitations de fortune, soit quasiment moitié moins. « Nous nous sommes arrêtés à ce chiffre de 141 500 sans abris. Mais aujourd’hui, ils doivent être probablement beaucoup plus », précise la Fondation Abbé-Pierre.

La conclusion de ce rapport est donc claire : « Entre 2001 et 2012, le nombre de personnes sans domicile a augmenté d’environ 50 % ». Cette amplification du phénomène s’explique notamment par l’engorgement du secteur de l’hébergement, pourtant lui-même en croissance continue. Dans un récent tweet, la Fondation Abbé-Pierre a d’ailleurs raillé la déclaration de Julien Denormandie en répondant à l’intéressé ceci : « Le père Noël existe, j’ai vu des cadeaux au pied du sapin ».

Emmanuel Macron s’est engagé à aider les sans-abris mais contrairement à ce qu’affirme Julien Denormandie, il est encore trop tôt pour évoquer une amélioration de leur situation. En 2017, 403 personnes sont décédées dans la rue.

Clotilde Costil

Les sources à consulter

  • Insee, « Le nombre de sans-domicile a progressé de 50 % entre 2001 et 2012 »

  • Fondation Abbé-Pierre, « Les chiffres du mal-logement en 2016 »

Date : 18 janvier 2018.

Lieu : 25 rue Bretonneau à Tours.

Interlocuteurs :

  • Nathalie Fillon, coordinatrice du Samu social de Tours (Croix-Rouge).
  • Jean-Pierre Destemberg, chef de maraude.

Pour Nathalie Fillon, coordinatrice du Samu social de la Croix-Rouge à Tours, il n’y a pas de doute : « Le nombre de personnes sans abris est en constante augmentation », que ce soit dans les maraudes ou à l’accueil des personnes à l’unité locale de Tours. 

A l’unité locale de la Croix-Rouge à Tours, on ne constate pas la tendance à la baisse du nombre de sans-abris qu’évoque Julien Denormandie. La nuit n’a pas fini de tomber, les bénévoles s’activent déjà à préparer sandwiches et couvertures pour la prochaine tournée nocturne. Chapeautés par Jean-Pierre Destemberg, chef de maraude pour un soir, les trois bénévoles de la Croix-Rouge sillonnent les rues de Tours et de sa proche banlieue. De 20 heures à 1 heure, ils apportent un peu de réconfort et de nourriture aux sans abris de la ville. Chaque soir c’est le même rituel avant le départ : la préparation des camions, des centaines de repas à distribuer, des soupes, de vêtements chauds et de produits d’hygiène.

Chaque nuit, c’est aussi le même constat ; le nombre de personnes à la rue ne faiblit pas. Le décalage entre la réalité du terrain et les propos tenus par Julien Denormandie ne fait aucun doute. Lorsque l’on interroge les bénévoles du Samu social ou la coordinatrice de la structure tourangelle de la Croix-Rouge, Nathalie Fillon, la conclusion est souvent la même : « Le nombre de personnes sans abris est en constante augmentation ».

Les bénévoles de La Croix-Rouge préparent tous les soirs des repas une heure avant le départ en maraude. Ils sillonnent les rue de Tours entre 20 heures et 1 heure du matin. © Clotilde Costil

Il y a le mal-logement visible, de toutes les personnes sans domicile fixe qui dorment dans la rue ou dans des abris de fortune. Et puis il y a le mal-logement invisible mais tout aussi précaire, des personnes dans une telle insécurité matérielle et énergétique qu’elles n’ont d’autre choix que de s’adresser à la Croix-Rouge pour obtenir un soutien. Ces deux catégories de population victimes du mal-logement représente chacune 50% de l’ensemble des personnes qui font appel à l’association. Parmi elles, des migrants de plus en plus nombreux, qui, faute de carte de séjour ou de pièce d’identité valable, se retrouvent souvent sans toit.  Les centres d’hébergement d’urgence très engorgés, ont d’ailleurs mis en place des critères de priorité pour donner des places.

12 232 personnes ont ainsi été recensées au sein de l’association pour l’année 2016, soit pendant des permanences pour bénéficier d’aides alimentaires, matérielles et financières, soit dans la rue lors de maraudes ou dans le cadre d’un hébergement d’urgence. C’est 4,75% de plus qu’en 2015. « Sur 2017, on s’orienterait sur un chiffre de 13 000 contacts, un peu plus encore qu’en 2016 », indique Nathalie Fillon. Au 25, rue Bretonneau à Tours, sur le trottoir, défilent chaque matin des familles, des personnes seules, venues en nombre pour décrocher un rendez-vous avec les bénévoles de l’accueil de jour. Certaines viennent attendre dès 5 heures du matin. D’autres abandonnent l’idée même de pouvoir profiter un jour d’une place au chaud et finissent par ne plus appeler le 115.

Clotilde Costil