On considérait comme couvert un village où un opérateur était présent, mais sans se soucier de sa qualité de service

27 Jan 2018

 

JULIEN DENORMANDIE

« Jusqu’à présent, on considérait comme couvert un village où un opérateur était présent, mais sans se soucier de sa qualité de service »

Dans un entretien au JDD, le secrétaire d’État Julien Denormandie a estimé que, « jusqu’à présent, on considérait comme couvert un village où un opérateur était présent, mais sans se soucier de sa qualité de service ». Son affirmation, relative aux zones blanches, est imprécise.

LE CONTEXTE

Dans les colonnes du Journal du dimanche (JDD), daté du 14 janvier 2018, le secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des territoires Julien Denormandie a révélé « un accord historique qui va permettre de changer le quotidien des Français ». Conclu avec les opérateurs télécoms, celui-ci vise à « améliorer très significativement la couverture mobile du territoire », en mettant fin aux zones blanches. « Ils s’engagent à consentir plus de 3 milliards d’euros d’efforts financiers pour y arriver. Nous améliorerons également la qualité de service, qui n’était pas bonne. Jusqu’à présent, on considérait comme couvert un village où un opérateur était présent, mais sans se soucier de sa qualité de service ! Demain, il devra fournir un service de bonne qualité, a-t-il promis. Grâce à cet accord, il n’y aura plus de « zones blanches » […] où des Français vivent sans avoir accès à une téléphonie de qualité. »

L’EXPLICATION

Qu’est-ce qu’une zone blanche ? C’est un espace où il est impossible de capter du réseau via son téléphone portable ou de se connecter à Internet. Par exemple, cela empêche d’envoyer des messages, de passer des appels ou de consulter ses mails. Cette situation concerne environ 1 % de la population. Des recensements ont été menés en 2003, puis en 2008 et en 2015. À chaque fois, des communes se sont ajoutées à la liste de celles qui ne bénéficiaient d’aucune couverture mobile. 238 étaient comptabilisées en novembre 2015, contre 541 en mai 2017. Ce sont principalement des villages et des hameaux, situés en milieu rural. Le Grand-Est est la région la plus représentée, avec 151 communes en zones blanches, tandis qu’une seule est répertoriée en Île-de-France.

Reste à savoir comment ces zones blanches sont définies ? Le « mode opératoire » est détaillé par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Pour résumer, ce sont les collectivités locales qui « identifient » les territoires. Qui sont ensuite « étudiés » par chaque opérateur, à savoir Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom, « au moyen de leur système informatique de détermination de couverture ». Si des « doutes » sont émis, il faut alors procéder à des « mesures » sur le « terrain ».

Cinq à sept relevés sont effectués, selon si le centre-bourg est « linéaire » ou « concentrique », « à l’entrée », « à la sortie » et « dans le cœur » de la commune. « Quelle que soit la taille de l’agglomération, les mesures seront limitées à un cercle d’un rayon de 500 mètres centré sur le bourg. » À noter que les tests sont tous réalisés à l’extérieur. « Il s’agit d’établir une conversation d’une minute sur chacun des quatre réseaux de façon successive puis à évaluer chacun des réseaux testés. […] L’évaluation de la qualité de la communication est effectuée par le testeur mobile ainsi que par le testeur fixe appelé. » Il existe, enfin, quatre « critères de notation ».

En fonction des résultats, « sont considérées comme zones blanches les communes dont le centre-bourg […] n’est […] couvert par aucun opérateur de réseau mobile. » À l’inverse, « sont définies comme couvertes les communes dans lesquelles au moins 50 % des appels passés dans le centre-bourg sont acceptables ou parfait pour au moins un opérateur de réseau mobile ». Autrement dit, dans le cas d’un centre-bourg dit « linéaire », si deux mesures sur cinq s’avèrent médiocres ou mauvaises, la commune est quand même considérée comme couverte.

C’est sans doute ce que voulait signifier Julien Denormandie, dans son entretien au JDD, en disant que, « jusqu’à présent, on considérait comme couvert un village où un opérateur était présent, mais sans se soucier de sa qualité de service ». Les termes employés par le secrétaire d’État correspondent toutefois à un raccourci, puisque les critères de notation sont basés sur la clarté des communications. En conclusion, sa déclaration manque de précisions.

Ouagne est une petite commune de la Nièvre, située au nord du département, près de la frontière avec l’Yonne, à une heure de Nevers et d’Auxerre. Ici, en pleine campagne, entre les terres agricoles et les forêts, il devient vite compliqué d’accéder à du réseau téléphonique. « Je vous donne mon numéro de fixe, car, sinon, nous n’arriverons pas à communiquer », prévient la maire Danielle Konieczny, élue en 2014.

Date : samedi 20 janvier 2018.

Lieu : Ouagne (Nièvre – Bourgogne).

Interlocuteurs :

  • Danielle Konieczny, maire.
  • Bruno Millière, référent au numérique.

Le rendez-vous est fixé dans les locaux de la mairie, qui se trouve derrière l’église et à proximité de l’école. C’est le centre du village. Devant et à l’intérieur du bâtiment, l’hypothèse de l’édile se vérifie : « Aucun réseau », indique l’écran de notre téléphone portable. Déjà, sur le trajet, le signal de la radio se brouillait à mesure que nous nous rapprochions de notre destination.

Pourtant, Ouagne ne figure pas dans la liste des communes en zones blanches, si nous nous fions au dernier recensement datant de mai 2017. Seuls Chalaux, Challement, Epiry, Saint-Brisson et Saint-Honoré-les-Bains sont concernés sur le territoire nivernais. Sur la carte de couverture établie par l’Arcep, mise à jour en juillet 2017, Ouagne est situé au cœur d’une zone rose pâle, voire blanche. Des couleurs qui indiquent soit une présence d’un faible signal (« couverture limitée »), soit une absence de réseau.

Selon l’Arcep, Ouagne ne fait pas partie des zones blanches. Pourtant, selon l’aveu même de la maire, le réseau y est presque inexistant.

Pour attribuer son verdict, l’Arcep s’est basée sur les relevés effectués dans le bourg, en 2015, par des représentants des différents opérateurs. Free, Bouygues Telecom et Orange n’ont pas été détectés, tandis que SFR a jugé son propre service « acceptable ». Or, comme expliqué précédemment (voir plus haut), la réception d’un unique opérateur suffit à considérer une commune comme couverte. Une situation qui a provoqué de l’incompréhension et de l’indignation chez les élus. « On est les grands oubliés…, soupire Danielle Konieczny. Pour capter, il faut aller dans des endroits précis, à hauteur du cimetière, par exemple. Et encore, c’est éphémère. Quand vous avez une urgence dans la nuit, c’est impossible de joindre quelqu’un. On est vraiment dans le désert. »

Ainsi, les habitants étant abonnés à un autre opérateur que SFR semblent n’avoir aucune perspective… À force d’enregistrer les plaintes des 162 âmes du village, l’équipe municipale a donc nommé un référent au numérique, Bruno Millière. Réunions publiques, enquêtes, courriers au gouvernement, sollicitations auprès des parlementaires, articles dans la presse locale… Depuis son engagement, en 2014, l’habitant du hameau du Plessis a multiplié les actions en tout genre. Résultat : les compte-rendus, les rapports et les lettres s’empilent sur le bureau de la maire qui, pour autant, ne note « aucune avancée ». « Il n’y a que des promesses », renchérit Bruno Millière. Tous raccordés en 2020 ? Je n’y crois pas ! Cela sert juste faire patienter les gens. En attendant, les entreprises ne s’installent pas et le tourisme ne se développe pas. » Le ton est à la résignation. « Une personne âgée qui réside sur la commune a besoin d’être reliée par un appareil médical au service de cardiologie d’Auxerre pour suivre son état de santé, illustre Danielle Konieczny. Mais, comme cela ne fonctionne toujours pas, ce dispositif a dû être retiré… »

Simon Bolle

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