Une grande partie des affaires qui touchent Nicolas Sarkozy ont été instruites par M. Tournaire […] Les affaires [liées à son parti] arrivent toujours devant le même juge

29 Mar 2018

 

MARINE LE PEN

« Une grande partie des affaires qui touchent Nicolas Sarkozy ont été instruites par M. Tournaire […] Les affaires [liées à son parti] arrivent toujours devant le même juge »

La députée et présidente du FN Marine Le Pen a affirmé que le juge d’instruction Serge Tournaire s’occupait d’une majorité des affaires dans lesquelles Nicolas Sarkozy est impliqué. C’est vrai. Cependant, il n’a pas traité exclusivement de cas issus de son courant politique et rien ne prouve qu’il est rattaché au Syndicat de la magistrature, comme elle l’a laissé entendre.

LE CONTEXTE

Récemment, chaque personnalité politique – ou presque – a été conviée à donner son avis sur la mise en examen et le placement sous contrôle judiciaire, depuis le 21 mars 2018, de Nicolas Sarkozy à propos de l’enquête sur les soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Invitée de l’émission « 8 h 30 Toussaint Aphatie » sur France Info, le 23 mars 2018, Marine Le Pen a d’abord dit qu’elle n’avait « pas à réagir car [elle] n’est pas magistrate ». Puis la députée et présidente du Front national (FN) s’est exprimée pendant près de sept minutes sur le sujet. « C’est une affaire qui sera très lourde de conséquences si les faits sont avérés, a-t-elle notamment déclaré. J’aurais souhaité que les magistrats chargés de cette instruction soient des magistrats sur lesquels ne puissent peser aucun soupçon. Or, il y a une longue histoire entre monsieur Tournaire et Nicolas Sarkozy. Une grande partie des affaires qui touchent Nicolas Sarkozy ont été instruites par monsieur Tournaire. »

Marine Le Pen fait allusion à Serge Tournaire, juge d’instruction au pôle financier de Paris. C’est un des magistrats qui est en charge du dossier des soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy. Elle insinue qu’il y a un contentieux entre les deux hommes. « Je trouve étonnant qu’il y ait des juges qui soient affectés à tel ou tel parti politique, en quelque sorte, et que, à chaque fois qu’une critique est formulée contre un parti politique, y compris sur le plan judiciaire, ce soit toujours devant le même juge que les affaires arrivent. Ça me pose un problème. […] Je considère qu’un certain nombre de juges manquent d’impartialité. » Elle sous-entend ensuite que Serge Tournaire est « lié ou très lié » au Syndicat de la magistrature, qu’elle qualifie de « gauchiste ».

L’EXPLICATION

Nicolas Sarkozy est impliqué, c’est-à-dire cité ou mis en cause, dans dix affaires. Serge Tournaire est, en effet, étroitement lié à celle sur le supposé financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 et, par conséquent, à l’affaire Azibert, qui fait référence à la mise sur écoute intervenue à partir de 2013. Il a également enquêté sur l’affaire Bygmalion, dans laquelle l’ex-chef de l’État est accusé de financement illégal de sa campagne électorale de 2012, sur l’affaire des pénalités des comptes de campagne lors de cette même année et sur l’affaire des sondages de l’Élysée. Serge Tournaire a, en outre, arbitré l’affaire Tapie, pour laquelle Nicolas Sarkozy est concerné avec Christine Lagarde.

Le juge d’instruction au pôle financier de Paris n’a, par contre, pas instruit l’affaire de Karachi, qui remonte aux années 1990, ni celle sur les supposées rétrocommissions dans la vente d’hélicoptères au Kazakhstan. Il n’a pas non plus jugé l’affaire Bettencourt, ni celle sur les voyages en jet privé en 2012 et en 2013. Pour information, à l’issue de ces deux précédentes situations, Nicolas Sarkozy a bénéficié d’un non-lieu.

Ainsi, pour résumer, Serge Tournaire a un lien avec l’ancien président de la République dans six affaires sur dix, dont celles avec le plus grand retentissement médiatique, soit une majorité de cas. Marine Le Pen a donc raison d’affirmer qu’il en a instruit « une grande partie ».

Certes, Serge Tournaire est aussi en charge de dossiers concernant d’autres hommes politiques de droite (affiliés à l’Union pour un mouvement populaire comme aux Républicains). Il a travaillé sur le dossier des achats présumés de voix par Serge Dassault ou encore sur les emplois présumés fictifs dans l’entourage de François Fillon. Pour autant, il a, par ailleurs, conduit des enquêtes sur des députés encartés au Parti socialiste : François Pupponi, pour des soupçons de pressions supposées sur un témoin, et Sylvie Andrieux, pour un détournement avéré de fonds publics. De quoi nuancer les propos de Marine Le Pen, selon qui Serge Tournaire ne se focaliserait que sur des personnalités d’un même parti politique.

Enfin, pour ce qui est d’un éventuel soutien de Serge Tournaire au Syndicat de la magistrature, un argument déjà utilisé par la patronne du FN au micro de Radio Classique le 21 mars 2018, il n’est pas possible de l’affirmer. Comme l’a vérifié le média de fact-checking AFP Factuel sur son site, il n’y a pas de liste établie mentionnant l’ensemble des membres de l’organisation. Seul élément commun à Serge Tournaire et au Syndicat de la magistrature : la signature d’une tribune publiée dans Le Monde le 27 juin 2012 pour lutter contre la grande délinquance financière.

Simon Bolle