Réforme des retraites
La réouverture du chantierManifestation contre la réforme des retraites, Tours, mars 2023. Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, elle est toujours contestée. Photo : Maël Prevost/EPJT
Entrée en vigueur en 2023, la réforme des retraites a été imposée par le 49.3 malgré une contestation massive. Deux ans plus tard, le gouvernement a rouvert le chantier des retraites en lançant un « conclave ». Alors que cette discussion touche à sa fin, sans grand résultat pour le moment, on a étudié les mécanismes constitutionnels qui permettent de modifier une loi déjà appliquée.
Par Dario Nadal et Karyna Nauholna
Le 5 juin 2025, l’Assemblée nationale adoptait une résolution portée par le groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) appelant à l’abrogation de la réforme de 2023, alors que près de 160 rassemblements étaient organisés dans toute la France à l’appel de la CGT pour défendre la retraite à 60 ans. Sans effet juridique, ce vote a néanmoins été soutenu par une majorité de députés, incluant une partie du Rassemblement national.
Il faut préciser que cette réforme n’a, en réalité, jamais été présentée officiellement comme telle. Elle a été intégrée au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de l’année 2023, un véhicule législatif qui lui a permis d’être adoptée sans vote du parlement. Mais cette réforme continue d’être perçue comme injuste par une majorité de Français.
Le recours répété à l’article 49.3 par le gouvernement pour contourner le vote des députés a participé à plonger le pays dans une crise démocratique sans précédent. Les projections de la Cour des comptes montrent néanmoins que le déficit, après s’être stabilisé à 6,6 milliards d’euros en 2025, pourrait atteindre 30 milliards d’euros en 2045. D’où les interrogations sur la pérennité des mesures actuelles.
sans aucun tabou…
Le 14 janvier 2025, François Bayrou annonçait vouloir « relancer le chantier » des retraites « sans aucun tabou ». Depuis février, un conclave réunit les partenaires sociaux. Six mois plus tard, les négociations marquées par de profondes divergences, entrent dans leur phase finale avec l’espoir de dégager un compromis avant la date butoir fixée mi‑juin.
Au lieu de passer par la voie parlementaire classique, François Bayrou a opté pour un chemin moins formel, baptisé « conclave ». Cette méthode vise à esquiver le traditionnel cycle « Assemblée–navette–49.3 » en favorisant un dialogue direct dans des groupes thématiques sur l’âge de départ, la pénibilité et la durée de cotisation. Elle consiste à réunir pendant trois mois l’ensemble des partenaires sociaux (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, Unsa) ainsi que les organisations patronales (Medef, CPME, U2P, FNSEA) et la Direction générale de l’administration et de la fonction publique, sous l’égide de quatre ministres et de hauts fonctionnaires.
En privilégiant un conclave informel au détriment de la procédure parlementaire, le gouvernement risque de voir le format « hors sol » se retourner contre lui. La faiblesse du cadre institutionnel du conclave, en l’absence de vote et de contrôle, peut renforcer l’idée d’un pouvoir parallèle perçu comme contournant la représentation démocratique. En outre, l’absence d’engagement contraignant de la part des participants rend tout progrès incertain. Si on en croit Le Parisien, Pascale Coton, la négociatrice de la CFTC, interrogée sur les chances d’arriver à un accord le 17 juin, a fait une réponse nuancée. « Je dirais que c’est pratiquement zéro, mais ça fluctue d’heure en heure, de jour en jour. Aujourd’hui, je dirais qu’on est peut-être à 14 (chances) sur 20. »
S’il parvient à trouver des compromis, il devra les traduire rapidement dans la loi, sous peine d’être accusé de communiquer sans substance. A l’inverse, un échec public pourrait être un désastre électoral, car la majorité présidentielle, déjà très affaiblie, pourrait perdre encore plus de légitimité et faire l’objet d’une nouvelle motion de censure.
De l’Assemblée nationale à la rue, testez les obstacles institutionnels, politiques et sociaux qu’une réforme des retraites doit surmonter pour entrer en vigueur. Réalisé par Karyna Nauholna/EPJT
En droit français, une loi peut être abrogée ou modifiée par une autre loi de même rang, selon les principes d’abrogation expresse ou tacite. Concrètement, revenir sur la réforme des retraites impliquerait le dépôt et l’adoption à l’Assemblée nationale d’une proposition ou d’un projet de loi abrogeant tout ou partie de la loi du 14 avril 2023. Ce qui n’est pas le cas de la résolution adoptée le 5 juin qui n’a qu’une visée symbolique afin de faire pression sur le gouvernement.
Au moins cinq propositions de loi allant dans ce sens ont été déposées depuis l’adoption de la réforme, à l’initiative de La France insoumise et du Rassemblement national notamment. Contrairement à une idée reçue, le Premier ministre ne peut pas, par simple décret réglementaire, abroger une loi promulguée car son pouvoir de décret est cantonné au domaine réglementaire.
En revanche, il peut recourir aux ordonnances prévues à l’article 38 de la Constitution, après habilitation du parlement, pour prendre des mesures relevant normalement de la loi et, le cas échéant, modifier des articles précis de la loi de 2023, comme l’article 10 sur l’âge légal.
Cette procédure, plus rapide qu’une loi ordinaire, reste moins probable ici, car François Bayrou a clairement exclu, mi-mars, tout retour à 62 ans, voire à 63 ans, d’âge légal de départ.
Sur le terrain syndical, la CFDT a proposé d’étudier un retour progressif à 63 ans, mais n’a pas reçu de réponse ferme du gouvernement. D’une manière plus radicale, la CGT et Force ouvrière ont quitté le conclave de négociations dès la fin février, après que Bayrou a fermé la porte à tout recul de l’âge légal. Si les négociations étaient concluantes pour modifier ou abroger d’autres paramètres de la réforme comme la durée de cotisation ou la pénibilité, le gouvernement pourrait s’en saisir dans un projet de loi ou le Premier ministre par décret.
Alors que les négociations sur la réforme des retraites se poursuivent en conclave depuis plusieurs semaines, François Bayrou ferme la porte à tout retour à 62 ans. Vidéo : ARTE – 28 Minutes
Par ailleurs, la Constitution de 1958 prévoit des règles de révision constitutionnelle (article 89) qui permettent de changer le texte fondamental. Mais ces procédures nécessitent un vote à majorité renforcée dans les deux chambres ou un référendum. Cette voie est, en pratique, réservée aux révisions majeures et exclue ici, faute d’un consensus politique suffisant.
L’histoire récente l’a démontré : une loi controversée peut être retouchée sans être abrogée. Ainsi, la loi bioéthique de 2021, après avoir ouvert la PMA à toutes les femmes, a connu des ajustements par ordonnance en 2022 pour en modifier certains points sans changer fondamentalement le texte. Comme aujourd’hui avec la réforme des retraites, un ajustement ponctuel post-adoption peut donc servir à apaiser sans renier l’objectif politique affiché.
En théorie, un référendum pourrait être organisé comme l’envisageait François Bayrou en janvier 2025, si partenaires sociaux et patronat n’aboutissent pas à un accord lors du conclave sur les retraites. Dans ce cas, deux possibilités s’offrent à l’exécutif.
D’un côté, le référendum d’initiative partagée ou RIP, l’une des principales revendications des Gilets jaunes en 2018. C’est une procédure qui permet aux citoyens de proposer une loi à condition qu’elle soit soutenue par au moins un parlementaire sur cinq (185 députés et/ou sénateurs) et un électeur du dix inscrits (environ 4,8 millions).
Peu de chances que le gouvernement se tourne vers le RIP
De l’autre, le référendum législatif, prévu à l’article 11 de la Constitution, peut être déclenché par le président de la République sur proposition du Premier ministre ou à l’initiative de l’Assemblée nationale, sur la base d’une proposition de loi. Il concerne des sujets comme l’organisation des pouvoirs publics, la ratification de traités internationaux ou des réformes économiques, sociales et environnementales.
Fin février, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier jugeait qu’il était « assez peu vraisemblable que le gouvernement se tourne vers le RIP pour déclencher un référendum sur les retraites » auprès de Public Sénat. Ajoutant que si le gouvernement devait se tourner vers cette solution, « il s’agirait plutôt d’un référendum législatif déclenché par le président de la République ».
Ce référendum pourrait surtout être organisé pour consulter les Français à propos de l’âge légal de départ à la retraite. Idem que pour l’abrogation, cette hypothèse apparaît assez peu probable étant donné la position du gouvernement qui semble fermé à toute négociation sur ce point.
Invité sur TF1 le 13 mai, Emmanuel Macron a été interpellé par la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, sur la possibilité d’un référendum pour abroger la réforme des retraites. Le président de la République a fermement écarté cette option en déclarant : « Je ne ferai pas un référendum pour dire : je vais mettre 28 milliards de dépenses sans savoir où je les prends. » Une réponse tranchée qui réaffirme sa ligne : pas de retour en arrière sur l’âge légal, malgré la pression politique qui persiste.
Pour aller plus loin
- 2023-2025 : la réforme des retraites peut-elle encore être réformée ? sur radiofrance.fr
- Retraites : à quoi pourrait ressembler le référendum évoqué par François Bayrou ? sur publicsenat.fr
- Retraites : est-il vraiment possible de suspendre la réforme controversée de 2023 ? sur publicsenat.fr