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Clap de fin pour la commission d’enquêteLa députée des Verts, Sandrine Rousseau, présidente de la commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma, présente le rapport final au côté du député Modem, Erwan Balanant, rapporteur de la commission. Photo : Stephane de Sakutin/AFP
La commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma a rendu ses travaux le 2 avril dernier. Une occasion de comprendre comment fonctionnent et à quoi servent ces travaux parlementaires.
Par Aliyah Trabelsi et Angélina Richard
En janvier 2024, Judith Godrèche découvre le documentaire Les Ruses du désir de Gérard Miller (réalisateur accusé depuis de plusieurs agressions sexuelles). Dans ce film, Benoit Jacquot parle, sans détours, de sa relation avec l’actrice.
Ils se sont rencontrés alors qu’elle avait 14 ans, lui 39. Ils ont vécu six ans ensemble. L’actrice a évoqué plusieurs fois cette relation toxique et déséquilibrée, sans jamais le nommer pour autant. Or, dans le documentaire, non seulement le cinéaste nomme Judith Godrèche et minimise leur différence d’âge, mais il affirme que l’actrice en était « excitée ».
Ce documentaire est un électrochoc pour Judith Godrèche. Elle décide de réagir après des années de silence. Elle porte plainte pour viol sur mineur et ajoute à sa plainte un autre réalisateur, Jacques Doillon.
Pour répondre à ces violences systémiques et prendre le problème à bras-le-corps, elle prend une place active dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS). Surtout, elle réclame la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. Elle aura gain de cause la même année.
Une commission d’enquête peut être initiée soit par l’Assemblée nationale, soit par le Sénat. Dans le cas présent, la première démarche émane des sénateurs du groupe socialiste en mars 2024, mais ils décident finalement de ne pas le faire en raison de l’inflation des demandes de commissions similaires, dans les arts.
Judith Godrèche, auditionnée à l’Assemblée nationale, le 18 décembre 2024. Source : LCP – Assemblée nationale
Le 2 mai 2024, c’est finalement l’Assemblée nationale qui décide, à l’unanimité de la lancer. Mais sa dissolution, prononcée le 9 juin 2024 par Emmanuel Macron, met un terme aux travaux alors que plusieurs dizaines de personnes ont déjà été entendues. La commission sera enfin relancée le 9 octobre 2024 et portera sur « les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ».
Une commission d’enquête est un outil parlementaire qui permet d’étudier en profondeur un sujet d’intérêt public, souvent sensible et complexe. Elle vise à analyser les dysfonctionnements en recueillant des témoignages et en examinant les faits de manière approfondie. Dotée de pouvoirs spécifiques, tels que l’accès à des documents confidentiels, la commission d’enquête peut éclairer les responsables politiques et l’opinion publique. Bien qu’elle ne possède pas de pouvoir législatif direct, elle peut aussi déboucher sur des propositions de loi.
Elle agit comme un levier puissant pour faire évoluer les mentalités : elle expose les abus et incite à une réflexion collective sur les comportements à changer. Ce fut le cas de la commission d’enquête sur le narcotrafic en France. Elle a abouti sur une proposition de loi en février 2025, adoptée à l’unanimité par le Sénat, afin de sortir la France du piège du narcotrafic.
Autrement dit, si les enquêtes judiciaires poursuivent les responsables en cas de délits ou de crimes, les commissions d’enquête parlementaire se concentrent, elles, davantage sur les dysfonctionnements institutionnels.
La commission d’enquête sur les violences dans le septième art est présidée par la députée écologiste de Paris, Sandrine Rousseau. Son rapporteur est le député Modem du Finistère, Erwan Balanant. Le bureau a été désigné lors de la réunion constitutive de la commission d’enquête, le 22 octobre 2024, par trente députés désignés à la proportionnelle des groupes. Une organisation pensée pour garantir impartialité et transparence.
Les principales recommandations du rapport de la commission d’enquête. Réalisation Aliyah Trabelsi et Angélina Richard/EPJT
Les travaux s’appuient uniquement sur les recherches des élus et les témoignages. Ceux-ci peuvent être filmés, toujours dans un souci d’impartialité. Certaines personnes auditionnées pouvant s’exprimer sur les plateaux télé (cela a été le cas pour Judith Godrèche), la commission doit alors faire attention à ne pas se laisser influencer par le traitement médiatique.
Dans le prolongement de ce travail, un projet de loi est en cours d’élaboration. Il vise à renforcer la prévention des VSS avec par exemple une prise en compte des attitudes coercitives dans le délit de harcèlement sur conjoint ou encore l’ajout de nouvelles circonstances aggravantes pour les viols en série.
Les travaux d’une commission d’enquête comprennent des auditions, que ce soit d’experts ou de témoins. Elle écoute également toute personne pouvant éclairer la réflexion et parler d’exemple vécu et concret. C’est pour ces raisons que Judith Godrèche a été entendue en décembre 2024.
Parmi les témoignages marquants figure également celui de l’actrice Sara Forestier qui a révélé qu’à l’âge de 13 ans, sur un casting, elle a dû retirer sa culotte et la faire « tournoyer pour qu’elle arrive dans l’assiette d’un acteur ». Le témoignage permet donc d’offrir une voix directe aux victimes, sans intermédiaire.
Un fléau massif
sans chiffres précis
La commission d’enquête sur « les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité » a montré que ces violences sont massives, mais restent largement non quantifiées, un constat qui constitue justement l’une des premières recommandations du rapport. Pour donner un ordre d’idée, en France, les forces de l’ordre ont recensé 122 600 victimes de violences sexuelles en 2024, soit une hausse de 7 % par rapport à l’année précédente, selon le ministère de l’Intérieur. Outre-Atlantique, une enquête menée en 2018 par USA Today et le National Sexual Violence Resource Center révélait que 94 % des femmes à Hollywood déclaraient avoir subi une forme de harcèlement ou d’abus.
Six mois, pas plus
Mais elles ne sont pas les seules à avoir été auditionnées. Par exemple, une table ronde a réuni des représentants des festivals de Cannes et de Deauville, ainsi que des membres de l’Académie des César et de l’Académie des Molières, afin de discuter de leur rôle et de leurs actions face aux violences dans le secteur. C’est à la requête de Sandrine Rousseau, qu’une convocation leur a été délivrée.
Les personnes sont entendues sous serment, à l’exception des mineurs, qui ne témoignent pas sous serment, n’étant pas considérés comme assez matures pour en comprendre les engagements. La commission respecte également les droits de la défense des personnes visées par les accusations énoncées.
Les travaux d’une commission ne peuvent pas dépasser un délai de six mois à compter de sa création. Celle qui nous occupe s’est clôturée le 2 avril 2025 avec le dépôt de son rapport. Parmi les préconisations, l’inscription dans tous les contrats de travail d’une clause interdisant toute sanction financière en cas de signalement de faits de violences et harcèlement sexuels et sexistes (VHSS) ou la création d’un réseau pour les référents VHSS du secteur culturel.
L’Assemblée nationale a dressé le constat, sans ambiguïté. Si le silence a longtemps tenu le rôle principal dans les violences au sein du cinéma, il est aujourd’hui relégué hors-champ. Ce qui vient, c’est un autre scénario, fondé sur l’écoute, la parole et l’action.
Pour aller plus loin
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- Cinéma : quelles réalisations depuis #MeToo ? sur radiofrance.fr
- Violences sexuelles dans le monde de la culture : les recommandations de la commission d’enquête contre la « machine à broyer » sur lcp.fr
- La commission d’enquête parlementaire sur les violences rend un rapport accablant pour la « grande famille » de la culture sur lemonde.fr