Le déclenchement de la guerre en Ukraine a accéléré le processus d’intégration à l’UE pour de nombreux pays. Malgré cela, les pays de l’ex-URSS comme ceux des Balkans doivent évoluer pour atteindre les standards de l’UE, économiquement comme politiquement.
Recueilli par Hugo Laulan
Pour Christine Bousquet, un élargissement futur de l’Union européenne sous entend une adaptation de la gouvernance de l’institution. Photo : Hugo Laulan/EPJT
Le 9 novembre 2023, la Commission européenne a donné un avis favorable pour entamer les négociations d’adhésion à l’Union européenne (UE) de l’Ukraine et de la Moldavie*. Elle recommande d’ouvrir les négociations avec la Bosnie-Herzégovine et que la Géorgie obtienne le statut de candidat officiel. Christine Bousquet, présidente de la Maison de l’Europe de Tours depuis 2009, en est persuadée : malgré ces nouvelles avancées, l’intégration de ces pays dans l’Union européenne va prendre encore de nombreuses années.
Le Conseil européen est attendu les 14 et 15 décembre afin de valider, ou non, les recommandations de la Commission. Où en est ce processus d’élargissement ?
Christine Bousquet. Pour entrer dans l’UE, il y a des conditions. Pour ces pays, il faut commencer par une mise en ordre démocratique via des élections libres et une séparation des pouvoirs. La corruption est également un fléau. Ils doivent aussi mettre à jour toute leur législation en accord avec celle de l’UE. C’est un processus très long, qui n’est pas pour demain. Mais dans ce contexte du retour de la guerre en Europe, ces annonces sont un message fort envoyé aux populations des pays les plus
menacés. L’UE montre qu’elle entend les revendications et qu’elle est prête à accueillir de nouveaux membres. C’est aussi un message vis-à-vis de la Russie : montrer que s’il elle touche un des candidats, elle touche un peu l’UE.
L’Ukraine est candidate depuis juin 2022. Elle est aujourd’hui enlisée dans la guerre. Peut-on l’imaginer membre de l’UE dans un futur proche ?
C. B. L’insertion de l’Ukraine dans l’UE ne se fera pas pendant la guerre. Il semble même difficile de l’imaginer juste après la fin du conflit car l’UE a besoin de garanties. Il faut que le pays soit en paix. Il faut le temps de la reconstruction et de la réconciliation. Pour la Croatie, cela a mis plus de dix ans après la fin de la guerre. L’Ukraine a toutefois énormément d’atouts pour son intégration. C’est un pays qui est très grand et son entrée dans l’UE semble assez logique géographiquement. C’est aussi un pays riche qui exporte grâce à des grands ports comme celui d’Odessa. L’intégration de l’Ukraine sous-entend celle de la Moldavie, dont le sort semble lié à celui de son voisin. Et une intégration dans l’UE va de mise avec une intégration dans l’Otan. Cela peut être encore long et en même temps, dix ou quinze ans, ce n’est pas énorme à l’échelle d’une vie.
Avec l’octroi du statut de candidat officiel à la Géorgie le 14 décembre 2023, l’Union européenne pourrait ouvrir la porte aux pays du Caucase. Réalisation : Hugo Laulan/EPJT
La quasi-totalité des pays des Balkans est candidate. Leur intégration est-elle inévitable ?
C. B. Je n’aime pas vraiment le terme « inévitable » car cela donne l’impression qu’il faut se résigner à ça. Quand on regarde une carte de l’UE, c’est vrai que les Balkans semblent un peu seuls. Cela serait logique qu’ils rejoignent l’axe européen, ce serait même souhaitable pour l’UE. Cela permettrait d’avoir une frontière maritime défendue, tout en enlevant une partie du poids de l’immigration à des pays comme la Grèce ou l’Italie. Le problème est qu’il faut d’abord que ces pays se réconcilient entre eux. La guerre a moins de trente ans, la Serbie et encore cinq pays de l’UE ne reconnaissent toujours pas le Kosovo. L’UE n’a pas d’autre choix que de leur proposer. Après, c’est à eux de faire la part des choses pour faciliter leur propre intégration.
La question de la religion est souvent présentée pour justifier ce frein face à l’intégration. A-t-elle lieu d’être selon vous ?
C. B. C’est un peu un faux argument, surtout pour les Balkans. Les Grecs, les Roumains ou les Bulgares sont orthodoxes alors que la majorité de l’UE est catholique ou protestante. Des musulmans, on en retrouve partout dans l’UE. Pour la Turquie, la situation est différente. Je ne suis pas sûre que les citoyens européens soient prêts à voir débarquer un Etat de 80 millions de musulmans au sein de l’UE. Mais pour des petits pays à majorité musulmane, comme l’Albanie, ce n’est pas un problème.
Quand on connaît les difficultés à définir géographiquement l’Europe, jusqu’où peut aller l’élargissement de l’UE ?
C. B. C’est un des enjeux majeurs pour l’UE : sa propre définition. Par exemple, l’intégration de la Géorgie n’est pas aussi évidente que celle de l’Ukraine ou de la Moldavie. Même si la Géorgie a toujours eu des liens étroits avec l’Europe, son intégration pousse les limites de l’Europe jusqu’au Caucase et ouvre la porte à d’autres pays ensuite. Un trop grand élargissement implique aussi une remise en question de la gouvernance. Si nous devons attendre que 27 chefs d’État, peut-être plus, se mettent d’accord pour prendre une décision, il y a un manque d’efficacité qui est évident et qui pose problème.
(*) Le 14 décembre, le Conseil européen a officiellement voté pour l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie. La Bosnie-Herzégovine doit, elle, encore remplir certaines conditions avant d’atteindre ce stade. La Géorgie, pour sa part, s’est vue octroyée le statut de candidat officiel à l’UE. L’interview a été recueillie avant ces annonces.
Christine Bousquet est historienne et professeure à l’Université de Tours. Elle est également, depuis 2009, présidente de la Maison de l’Europe de Tours. Reconnue d’intérêt général en 2014, l’association abrite un important centre de documentation sur l’Europe. Son but est d’apporter « l’Europe aux citoyens et les citoyens à l’Europe » selon les mots de la présidente.