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Statut des minorités au Mexique

Une réforme en demi-teinte

Le 28 janvier 1998, des femmes indigènes du peuple maya tzeltals, au Mexique, participaient à une manifestation pour exiger, entre autres, le respect des accords sur la culture et les droits indigènes signés entre l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et le gouvernement fédéral. Photo : Oriana Elicabe/AFP

Avec la promulgation d’une réforme inédite, le Mexique reconnaît désormais les peuples autochtones et afro-mexicains comme « sujets de droit public ». Bien que le texte soit une avancée pour ces populations, il suscite des interrogations quant à son application.

Par Victoire Alonzo et Louise Clerget

C’est une belle réforme, mais est-elle réellement faisable ? » interroge Josemaría Becerril Aceves, docteur en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). La réforme, approuvée le 30 septembre dernier par le Congrès mexicain, modifie l’article 2 de la Constitution mexicaine.

Elle accorde une autonomie aux communautés autochtones et afro-mexicaines. L’initiative s’inscrit dans le projet de « Quatrième transformation », porté sous la présidence d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO) pour redéfinir les relations politiques et économiques du pays. Environ 23 millions de Mexicains s’identifient comme indigènes, 7,4 millions d’entre eux parlent une langue autochtone. Ils sont près de 1,3 million à se considérer Afro-Mexicains.

Avant cette réforme, ces peuples étaient reconnus comme « sujets d’intérêt public », un statut qui les maintenait sous la tutelle de l’État, sans réelle autonomie. Désormais, ils sont « sujets de droit public », ce qui leur confère une personnalité juridique et un patrimoine propre : gestion des ressources publiques, défense des droits collectifs devant la justice… Du moins en théorie.

Peuples autochtones, premiers concernés par la pauvreté

Reproduction et traduction d’une infographie réalisée par le conseil national chargé de l’évaluation de la politique de développement social (CONEVAL), à partir de ses propres estimations sur la base du modèle statistique 2015 pour la continuité du MCS-ENIGH et de l’enquête intercensitaire 2015. Réalisation : Victoire Alonzo et Louise Clerget/EPJT

La réforme tend à protéger l’identité culturelle et les modes de vie de ces communautés tout en réduisant la discrimination dont elles sont victimes. Pour l’année 2025, le Congrès général des États-Unis mexicains, composé de 500 députés et de 128 sénateurs, a d’ailleurs alloué 123 milliards de pesos – 5,6 milliards d’euros – pour les infrastructures sociales du pays. Dix pour cent sont destinés aux peuples indigènes et afro-mexicains.

Mais la gestion de ces fonds reste floue. L’Instituto nacional de los pueblos indígenas (INPI) existe mais ne dispose pas du statut de ministère. Chaque communauté s’organise selon son propre modèle : il n’existe donc pas d’autorité des peuples autochtones. Qui gère alors les ressources allouées ? Qui défend les droits collectifs devant la justice ? Le système actuel pourrait encourager une dépendance à l’aide gouvernementale qui menacerait l’autonomie politique et culturelle des concernés.

Comment fonctionne le processus législatif au Mexique ?

Réalisation : Victoire Alonzo et Louise Clerget/EPJT

Dans le pays d’Amérique centrale, près de la moitié du territoire, où la présence autochtone est forte, est régi par les ejidos, un système de distribution de terres issues d’anciennes plantations et non exploitées. Dans ces structures, l’accès à la terre est souvent déterminé par des assemblées composées par des hommes, excluant de fait les femmes et les enfants de la gestion des ressources.

Avec la nouvelle réforme et la section IX, une double autorité risque d’émerger : celle de l’ejido, traditionnelle et celle des instances autochtones nouvellement reconnues par l’État, en faveur des droits des femmes et des enfants. Josemaría Becerril Aceves y voit un chevauchement absurde susceptible de générer des tensions et de compliquer l’application des droits fonciers autochtones. « Pourquoi l’État ne s’est pas basé sur ce droit-là ? »

Parmi les préoccupations suscitées par le texte : la terre. La section XVIII de l’article ne précise pas si les peuples peuvent refuser ou s’abstenir de consentir à certains projets de construction sur leurs terres. « Les États souhaitent des démocraties participatives. Mais seulement quand cela les arrange, s’indigne le chercheur. Après des siècles de marginalisation, les peuples autochtones sont contraints d’accepter des projets, souvent contre de l’argent, malgré les conséquences pour leur autonomie et leurs terres. »

Peuples autochtones, premiers concernés par la précarité sociales

Reproduction et traduction d’une infographie réalisée par le Conseil national chargé de l’évaluation de la politique de développement social (CONEVAL), en 2019, à partir de ses propres estimations basées sur le MCS-ENIGH 2008, 2010, 2010, 2014, 2016, 2018 et le MEC du MCS-ENIGH 2016 et 2018. Réalisation : Victoire Alonzo et Louise Clerget/EPJT

L’ambiguïté persiste aussi sur la gestion des sites archéologiques. Selon la section VIII, ces lieux devraient être protégés. Mais, dans les faits, l’Institut national d’anthropologie et d’histoire (Inah), qui gère les sites archéologiques, les a transformés en lieux touristiques dès les années soixante-dix avec la montée du tourisme.

« La terre doit être considérée comme un patrimoine bioculturel, pas comme une marchandise », martèle le chercheur. Derrière les grandes annonces, l’autonomie promise reste conditionnée à des décisions étatiques. Une reconnaissance en demi-teinte, qui laisse les peuples concernés face aux mêmes dilemmes : réclamer leurs droits… ou continuer de composer avec un système qui ne leur appartient pas.

« Indigène » quelle définition ?

Selon le Diccionario del español de México, le terme indigène désigne une « personne née ou originaire de la terre, de la région ou du pays concerné, associée aux peuples et cultures d’origine d’un lieu ».

l’article 2 de la Constitution mexicaine reconnaît les peuples indigènes comme « des collectivités ayant une continuité historique avec les sociétés précoloniales établies sur le territoire national et qui conservent, développent et transmettent leurs institutions […] ». Pour Josemaría Becerril Aceves ce n’est pas correct d’un point de vue anthropologique puisque les peuples indigènes ne sont pas toujours liés aux peuples pré coloniaux : il n’y a pas toujours continuité. « De nombreuses traditions se sont développées durant la colonisation. Aujourd’hui, des indigènes installés depuis des générations en ville ne se reconnaissent plus comme tels. »