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Destitution d’Emmanuel Macron

La procédure avortée
Une procédure de destitution avait été initiée par 81 députés du Nouveau Front populaire, le 4 septembre 2024, à l’encontre du président de la République Emmanuel Macron. Photo : Ludovic Marin/AFP

A la fin de l’été 2024, les députés de La France insoumise ont signé une proposition pour engager une procédure de destitution contre Emmanuel Macron. Celle-ci a été rejetée par la Commission des lois. Décryptage d’une démarche complexe.

Par Antoine Camara et Martin Colas

Un « coup de force institutionnel contre la démocratie », dénoncent les dirigeants de La France insoumise, dans un texte publié dans La Tribune, le 18 août 2024. Ils menacent de déposer une demande de destitution du président de la République si Lucie Castets n’est pas nommée Première ministre. Macron, destitution ? Voilà qui semble impossible.

Pourtant, la procédure de destitution d’un président de la République existe bel et bien. Elle constitue une sanction politique et non pénale. Elle est prévue par l’article 68 de la Constitution selon laquelle : « Le président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »

A l’origine, la procédure de destitution du président n’était applicable qu’en cas de « haute trahison ». Après les travaux menés par une Commission de juristes présidée par Pierre Avril en 2002, afin de revoir le statut pénal du président de la République, la procédure de destitution est finalement redéfinie par la révision constitutionnelle de 2007. La loi organique du 24 novembre 2014 précise et rend applicable la mise en œuvre de la destitution telle qu’elle est prévue par la réforme de 2007.

Lors d’une interview donnée dans la lettre juridique du 17 mars 2011 sur le site LexBase, Philippe Houillon, le rapporteur du projet de loi organique, précise les comportements qui justifient une procédure de destitution, ils doivent « résulter de violation graves à la Constitution comme le refus de promulguer des lois ou d’actes commis pendant le mandat, sans lien avec les fonctions présidentielles ».

Une fois le manquement du président de la République caractérisé, le chemin procédural est balisé par plusieurs étapes successives qui doivent à chaque fois être validées. La route est longue avant d’aboutir à la destitution effective.

En 2016, une procédure de destitution a été lancée à l’encontre de François Hollande. Réalisation : Martin Colas/EPJT

La proposition de résolution par les parlementaires (sénateurs ou députés) qui désirent destituer le président de la République doit justifier de « motifs susceptibles de caractériser un manquement au sens du 1er alinéa de l’article 68 de la Constitution » selon la loi organique du 24 novembre 2014. La procédure doit ensuite être signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale (au moins 58 députés) ou du Sénat (au moins 35 sénateurs). Cette première étape a été franchie par le groupe de La France insoumise. Il a en effet déposé une proposition de résolution signée par 81 députés (LFI, écologistes et communistes) le 31 août 2024 au bureau de l’Assemblée nationale.

Le but est de réunir le parlement en Haute Cour pour engager la procédure de destitution. Dans la proposition de résolution, La France insoumise justifiait sa démarche en raison « du manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions [référence au président de la République Emmanuel Macron] que constitue l’absence de nomination d’un Premier ministre issu de la force politique arrivée en tête aux élections législatives du 30 juin et 7 juillet 2024 et, ce, alors que la démission officielle du gouvernement date du 16 juillet 2024 ».

peu de chances d’aboutir

Le 17 septembre 2024, la résolution déposée par le groupe LFI est jugée recevable par les 12 députés membres du Nouveau Front populaire sur les 22 députés qui composent le bureau de l’Assemblée nationale. Après cette première étape, la proposition de résolution poursuit son parcours devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale.

Toutefois, cette étape n’a pas aboutit le 2 octobre 2024. Avec 54 voix contre et 15 voix pour, la Commission des lois rejette largement la proposition de résolution portée par le groupe LFI. Cette étape avait peu de chances d’aboutir car la gauche est minoritaire au sein de la commission. Si on prend en compte les députés socialistes, insoumis, écologistes et communistes, elle ne dispose que de 24 sièges sur 73.

La proposition de résolution aurait dû être examinée au plus tard le treize jours après la décision de la Commission des lois au sein de l’Assemblée nationale. Cependant, la conférence des présidents de l’Assemblée nationale a rejeté, lors d’un vote, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution portée par La France insoumise. Dans le détail, ce sont les présidents des trois groupes de centre-droit (Ensemble pour la République, MoDem, Horizon), de la Droite républicaine et de l’Union des droites qui s’y sont opposés. Le Rassemblement national s’est abstenu. Les groupes de gauche (socialiste, insoumis, écologistes et communistes) se sont, eux, prononcés en faveur de son inscription à l’ordre du jour. C’est un coup d’arrêt à la procédure de destitution enclenchée début septembre 2024 par La France insoumise.

Le 2 octobre 2024, en commission des lois, les députés ont rejeté, à 54 voix contre 15, la procédure de destitution portée par les élus LFI. Vidéo : LCP – Assemblée nationale 

Si la commission des lois avait validé la proposition de résolution de LFI, il aurait fallu que l’Assemblée nationale l’adopte aux deux tiers de ses 577 députés dans un délais de quinze jours. Pour rappel, le  Nouveau Front populaire ne dispose que de 192 députés sur les 577, soit environ un tiers de l’Assemblée nationale.

Ensuite, dans le cas où le texte passe à l’Assemblée nationale, il doit être transmis au Sénat et suivre les mêmes étapes, c’est-à-dire passer par la consultation de la Commission des lois et être approuvé par la majorité des deux tiers du Sénat (composé de 348 sénateurs) soit 232 sénateurs. Là encore, la gauche est minoritaire dans cette chambre qui compte 98 sénateurs socialistes, écologistes et communistes.

Si les deux assemblées (Sénat et Assemblée nationale) adoptent la proposition de destitution, elles doivent se réunir pour former la Haute Cour. Onze députés et 11 sénateurs sont désignés par les bureaux de leur assemblée respective « en s’efforçant de reproduire la configuration politique de chaque assemblée » (article 5 de la loi organique de 2014). Ils forment le bureau « chargé d’organiser les travaux » de la Haute Cour.

deux tiers de l’ensemble des parlementaires

La loi organique précise ensuite qu’une « commission constituée de 6 vice-présidents de l’Assemblée nationale et de 6 vice-présidents du Sénat est chargée de recueillir toutes les informations nécessaires », afin d’instruire la procédure de destitution du président de la République. A sa demande, le chef de l’Etat peut être entendu. La commission dispose ensuite de quinze jours suivant l’adoption de la résolution pour remettre un rapport public aux membres de la Haute Cour, au président de la République et au Premier ministre.

A l’issue de débats rendus publics, la Haute Cour peut prononcer la destitution du président de la République. Cette décision ne peut être effective que si la majorité des deux tiers de l’ensemble des députés et sénateurs (925 parlementaires au total) approuve la procédure.

Ces étapes successives illustrent à quel point la destitution d’un chef d’État sous la Ve République est complexe. Entre les verrous institutionnels et la nécessité d’un consensus transpartisan, la procédure apparaît plus théorique que praticable. Dans un paysage politique aussi polarisé qu’aujourd’hui, il semble peu probable qu’une telle initiative aboutisse.