Plus de 70 millions d’électeurs américains avaient déjà voté par correspondance huit jours avant le scrutin. Le chiffre est d’une ampleur inédite et promet d’avoir des répercussions sur le résultat final. Ce que Donald Trump et ses partisans semblent avoir du mal à accepter.
Par Alexis Gaucher et Romain Leloutre
Mais le vote par correspondance, comment ça marche ? Il faut savoir qu’aux Etats-Unis, il n’y a pas de vote par procuration. Mais les Américains peuvent voter des semaines avant la date du scrutin. Concrètement, les bulletins sont envoyés au domicile des votants. Ceux-ci doivent les remplir soigneusement. Ils n’élisent pas directement un président, mais les 538 grands électeurs qui, eux, choisiront le chef de l’Etat.
Ils votent également pour les législatives fédérales, les gouverneurs, les représentants pour les assemblées de chaque État, les municipales, les juges, les chefs de la police, les bureaux de chaque école et parfois des référendums, des amendements aux lois, des initiatives locales, etc. Soit un nombre démesuré de scrutins simultanés. Une fois qu’ils ont rempli (en cochant des cases) leur bulletin de vote, les électeurs le glissent dans une enveloppe dédiée qu’ils déposeront dans des boîtes à lettres scellées disposées un peu partout dans la ville.
La pratique n’est pas nouvelle, elle existe même depuis des décennies mais elle n’est pas la même partout et l’organisation peut changer d’un Etat à l’autre. En Floride, par exemple, les bulletins sont dépouillés au fur et à mesure sous haute surveillance et les résultats divulgués le jour du scrutin.
Tous les Etats ne l’autorisent pas ce qui ajoute à la confusion. Selon le New York Times, 76 % des électeurs sont autorisés cette année à voter par courrier.
Plus utilisé par les démocrates que par les républicains, ce phénomène électoral pourrait ajouter du suspense à une élection déjà incertaine. Les premiers, très conscients des risques liés à la Covid, privilégient le vote par correspondance. Les seconds, eux, devraient se mobiliser en masse le jour de l’élection.
Conscient de cette discordance, le président Trump ne cesse d’affirmer que l’envoi postal des bulletins de vote causera « des fraudes d’une ampleur inédite ». Pour l’heure, Joe Biden continue de faire la course en tête dans les sondages.
La crise du Covid-19 a propulsé le débat sur l’efficacité du vote par correspondance sous le feu des projecteurs. « Hors de contrôle. Une élection truquée ! » tweetait Donald Trump le 23 octobre. En cause, de mauvais bulletins postés à 50 000 habitants de la ville de Columbus, dans l’Ohio, un État clé. En Pennsylvanie, des bulletins ont fini à la poubelle, ce qui a provoqué des dizaines d’actions lancées en justice.
Les opposants du vote par correspondance se reposent aussi sur l’expérience vécue durant les primaires. Dans les États de New York et du Wisconsin, des dizaines de milliers d’électeurs n’ont pas reçu les bulletins à temps pour voter.
Un vote difficilement falsifiable
Les spécialistes, eux, attestent de la sûreté de cette forme de vote électoral et affirment que, le cas échéant, les erreurs pourraient être rapidement identifiées. Le fait que chaque État, et parfois même chaque comté, émette des bulletins de vote particuliers selon les questions qui sont posées à leurs électeurs, rend impossible une falsification à grande échelle.
De plus, les bulletins de vote et les enveloppes possèdent des codes-barres et des informations spécifiques, comme les numéros de circonscription et les numéros d’identification des électeurs, qui sont très difficiles à reproduire. Christopher Wray, directeur du FBI, avait déclaré devant la commission sénatoriale en septembre dernier : « Nous n’avons jamais été témoins, au cours de l’histoire, d’une action coordonnée de fraude électorale lors d’une élection majeure, que ce soit par courrier ou autrement. »
Le précédent Bush – Al Gore
Certains États autorisent un pré-traitement des bulletins d’ores et déjà reçus, comme la Floride. D’autres en revanche, accepteront les enveloppes jusqu’à dix jours après le scrutin, à condition qu’elles aient été postées avant le 3 novembre, le cachet de la poste faisant foi. Cette donnée pourrait compliquer le calendrier électoral. C’était déjà le cas en 2016, mais cela ne concernait alors qu’une infime fraction des votes. Nous ne connaîtrons certainement pas le nom du vainqueur à l’issue de la nuit présidentielle… Dans la dizaine de « swings states » – États pivots où les électeurs semblent encore indécis – le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvannie ne devraient pas être en mesure d’annoncer un vainqueur définitif au soir du 3 novembre.
Les Etats décisifs
Les deux candidats disposent d’une base électorale forte au sein de différents États. Une fois encore, les États pivots joueront un rôle prépondérant. Le collège électoral est composé de 538 grands électeurs. Pour être élu président, un candidat doit obtenir les voix d’au moins 270 d’entre eux.
Sur les 50 États que comptent les États-Unis, seule une dizaine d’entre eux feront basculer l’élection d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique. Il faudra particulièrement surveiller les premiers résultats des États suivants durant la nuit des élections : Texas (38 grands électeurs), Floride (29), Pennsylvanie (20), Ohio (18), Michigan (16), Géorgie (16), Caroline du Nord (15), Arizona (11), Wisconsin (10), Minnesota (10), Iowa (6).
Les médias outre-Atlantique se pencheront sur l’évolution du rapport de force au sein de ces différentes terres électorales. L’issue de l’élection risque, quoi qu’il en soit, de créer des tensions entre les deux camps d’opposants.
Un scénario déjà rencontré par le passé. En 2000, le démocrate Al Gore et le républicain George W. Bush sont au coude à coude dans les sondages tout au long de la campagne. L’élection se joue sur le résultat de la Floride. Mais le décompte des votes pose problème. La Division des élections de Floride proclame Bush vainqueur par 1 784 voix d’avance sur plus de 5,6 millions de votes.
Al Gore demande le recomptage des bulletins à la main dans quatre comtés. Le doute se répand et les bulletins sont recomptés à la machine. Bush n’a alors plus que 288 voix d’avance. La Cour suprême de Floride ordonne un recomptage manuel avant d’interdire toute proclamation des résultats avant la fin de ce recomptage.
C’est la Cour suprême des Etats-Unis qui arrête les décomptes : elle décide, par 5 voix contre 4, que la décision de la Cour suprême de Floride est inconstitutionnelle. Elle annule donc le recomptage. Bush est élu. Les grands électeurs n’ont plus qu’à ratifier. Al Gore finit par admettre le résultat.
La nomination de la juge Amy Coney Barrett à la Cour suprême donne à Donald Trump une large avance si celle-ci devait trancher. Il refuse de s’engager à accepter les résultats s’ils ne lui sont pas favorables. Le climat semble plus que jamais tendu. Les manifestations s’intensifient et les ventes d’armes explosent à quelques jours du scrutin.