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Crise sanitaire oblige, la saison des prix littéraires a été bouleversée. Même si cette année ne ressemble à aucune autre, on vous décrypte le phénomène.
Par Clara Jaeger et Enzo Maubert
Mais d’habitude, comment ça marche la saison des prix littéraire ?
Depuis plusieurs décennies, ces prix ont forgé le paysage de la littérature française, chacun apportant ses spécificités. Le Goncourt et le Renaudot, 一 respectivement créés en 1892 et en 1926 一 récompensent chaque année un roman en langue française. Celui de l’Académie française s’intéresse à tous les styles (poésie, théâtre, nouvelle), tandis que le Médicis 一 le plus récent, créé en 1958 一 récompense un roman, récit ou recueil de nouvelles dont l’auteur est encore confidentiel. Le Femina enfin a la particularité d’être délivré par un jury 100 % féminin.
Un entre-soi bien nourri
En septembre, les jurys communiquent leur première sélection. L’occasion de se rendre compte que de nombreux auteurs sont sélectionnés sur plusieurs listes. Ainsi, L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier, est sélectionné pour le Goncourt, le Renaudot et le Médicis. Miguel Bonnefoy et son Héritage figurent à la fois sur la liste de l’Académie française, du Goncourt et du Femina. Enfin, Diane Mazloum pour Une Piscine dans le désert trustait les sélections des prix Femina, Médicis et Renaudot .
Avant la consécration médiatique des lauréats, le processus de nomination suit un long cheminement. Les différents jurys choisissent leurs favoris parmi les centaines de romans publiés durant l’année.
Ils effectuent ensuite plusieurs sélections, deux ou trois selon les prix.
Le Goncourt commence ainsi avec une première liste de 15 noms, une seconde de 8 et une sélection finale de 4 noms. Le vote se fait le plus généralement oralement, le scrutin est à la majorité absolue. Pour le Goncourt, le prix ne peut être attribué qu’à la majorité absolue durant les 10 premiers tours. Du onzième au treizième tour, la majorité relative suffit. En cas d’égalité, la voix du président compte double au quatorzième tour.
Les petits plats dans les grands
Prix littéraires riment aussi avec restaurants et déjeuners gastronomiques parisiens. Depuis 1914, l’académie Goncourt élit domicile chez Drouant, place Gaillon, dans le deuxième arrondissement de Paris.
Chaque premier mardi du mois (en temps normal), le restaurant accueille les dix jurés du prix. Chacun a son « couvert » et sa place attitrée pour débattre de la sélection d’auteurs. Paradoxe : Drouant est aussi le lieu de discussion du « meilleur ennemi » du Goncourt : le prix Renaudot. Depuis 1926, ses neuf jurés se réunissent pour élire le lauréat dans une pièce adjacente et remettent leur récompense après le Goncourt. Pour qu’un lauréat ne reçoive pas les deux récompenses, ils désignent deux livres. Si le premier est lauréat du Goncourt, c’est le second qui est choisi pour le Renaudot.
Le Médicis a, lui, choisi le restaurant La Méditerranée, place de l’Odéon. Quant au Femina, il est remis dans le prestigieux hôtel du Crillon, place de la Concorde. Seul le grand prix de l’Académie française est décerné au siège des immortels, à l’Institut de France.
Des jurés bien installés
Chaque jury compte entre 9 et 12 jurés. Participer aux votes des plus grandes récompenses littéraires françaises n’est pas donné à tout le monde. C’est une histoire de cooptation. Autrement dit, à la mort ou après la démission de l’un d’entre eux, les jurés choisissent un nouveau membre parmi une liste de candidats, souvent des amis ou des connaissances des membres en fonction. L’académie Goncourt pratique par exemple la règle de « la boule noire ». Il suffit que l’un des jurés pose une boule noire sur la table pour montrer son opposition à un candidat. Ce dernier est immédiatement écarté. Les membres des autres prix (Femina, Médicis, Renaudot, Académie française) ont adopté le même mode opératoire mais cette fois à main levée.
Le fait est que les jurys changent peu au fil des années. Le président actuel de l’académie Goncourt, Didier Decoin, en est membre depuis 1995. Selon certains détracteurs, ce fonctionnement encouragerait une uniformité dans le choix des lauréats, parfois liés à des membres du jury.
Une récompense symbolique
Gagner un prix littéraire est plutôt une histoire de symbole que de gros sous. La plupart des récompenses ne promettent pas d’argent. Le prix Goncourt offre par exemple un chèque de 10 euros. Les prix Renaudot et Femina, eux, n’accordent aucune dotation financière. Seul celui de l’Académie française permet de gagner 10 000 euros.
Ces récompenses ont surtout une incidence sur les ventes. En moyenne, un roman qui porte le bandeau « Goncourt » s’écoule à 367 000 exemplaires selon l’institut GFK et rapporte entre 6 et 8 millions d’euros à la maison d’édition primée. Le Renaudot tire à près de 220 000 exemplaires, le prix de l’Académie française à 116 000, le Femina à 85 000 et le Médicis à un peu moins de 40 000.
Les librairies ont rouvert samedi 28 novembre. Reste à savoir si les lecteurs seront bien au rendez-vous…