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IVG au Royaume-Uni

Les pro-vie mis à distance

Au Royaume-Uni, des zones tampons ont été mises en place autour des cliniques d’avortement pour faire face aux pressions des militants anti-IVG. Illustration : Eraliyah Ebongue/EPJT

Pour garantir un accès à l’avortement sans intimidation, l’Angleterre et le Pays de Galles ont instauré des zones tampons autour des cliniques. Une mesure forte face à la pression grandissante des militants anti-IVG.
Par Margot Courtin et Carla Della Vedova
Des prières silencieuses, des photos de bébés et de fœtus brandies, des insultes et parfois même des crachats. Depuis plusieurs années, l’entrée des cliniques britanniques est devenue le théâtre de manifestations orchestrées par des groupes anti-avortement. Face à cette situation, le gouvernement britannique a décidé de frapper fort : depuis le 31 octobre 2024, elles sont interdites, en Angleterre et au Pays de Galles, dans un rayon de 150 mètres autour des établissements qui pratiquent l’avortement. Cette mesure, déjà adoptée en Irlande du Nord et en Écosse en 2022 et 2024, a pour but de protéger les patientes et le personnel soignant des pressions exercées par les militants anti-IVG.

Le fonctionnement des zones tampons repose sur un cadre légal strict. Le Crown Prosecution Service (bureau du procureur) a publié des instructions à destination de la police et des parquets afin de permettre la bonne application de la loi. Toute forme d’intimidation, y compris les prières ou les simples regards insistants des manifestants, peut être considérée comme une violation de la loi. Des amendes, voire des peines de prison, sont prévues pour les contrevenants.

Si les femmes ne renonçaient pas à se faire avorter à cause de ces militants, elles pouvaient être obligées de repousser les rendez-vous, ce qui diminuait leur possibilité de soins.

L’objectif est de réduire les violences subies par les patientes et le personnel médical, régulièrement confrontés à des comportements intimidants, agressifs, voire des menaces de mort aux abords des établissements de santé. Si les femmes ne renonçaient pas à se faire avorter à cause de ces militants, elles pouvaient être obligées de repousser les rendez-vous, ce qui diminuait leur possibilité de soins.

Un exemple marquant est celui de la clinique Marie-Stopes, à Ealing, dans l’ouest de Londres. Elle fut l’un des premiers établissements à réclamer une zone tampon. Pendant des années, les patientes y faisaient face à des groupes religieux en prière qui leur assenaient chants et remontrances pour les dissuader d’aller jusqu’au bout de leur démarche. Certaines ont raconté avoir été suivies jusqu’à l’entrée. Cette situation a conduit à l’instauration, dès 2018, d’une zone tampon locale qui interdisait les rassemblements autour de la clinique. Cette initiative a servi de modèle à la législation nationale.

Au Royaume-Uni, le droit à l’IVG ne cesse d’évoluer à travers les siècles. Réalisé par Margot Courtin/EPJT

Les opposants à cette loi dénoncent une atteinte à leur liberté d’expression. Certains accusant même le gouvernement de criminaliser des manifestations pacifiques. Isabel Vaughan-Spruce, membre du groupe pro-vie March For Life UK, estime, dans une vidéo publiée sur X, que ces manifestants sont « des chrétiens pacifiques et compatissants qui veulent s’assurer que les femmes sont informées de leurs options ».

La montée de la rhétorique anti-avortement se fait particulièrement ressentir depuis 2022, si on en croit Laetitia Langlois, maîtresse de conférences en civilisation britannique contemporaine et spécialiste de l’extrême-droite. « Le Royaume-Uni est la porte d’entrée vers l’Europe aux idées ultraconservatrices qui proviennent des États-Unis. Les groupes évangélistes, qui militent contre l’IVG de l’autre côté de l’Atlantique, sont parvenus à s’exporter. La religion n’a pas de frontière ».

Contrairement aux États-Unis, l’avortement est un droit qui n’est remis en cause ni par le débat public ni par la droite britannique, même conservatrice. Celle-ci n’a jamais fait de la lutte contre l’avortement un thème au sein de ses revendications. En revanche, le dernier gouvernement conservateur, en place entre octobre 2022 et juillet 2024, a empêché l’instauration des zones tampons en vigueur plus tôt, alors que la législation avait été adoptée en mai 2023.

En France, la liberté de recourir à l’IVG a été constitutionnalisée en mars 2024, mais les groupes pro-vie continuent leurs actions.

« Le gouvernement de Rishi Sunak avait besoin d’afficher une image très conservatrice pour plaire à la frange la plus radicale, même sur une question qui n’est pas au centre du débat national, comme peut l’être l’immigration par exemple », affirme Laetitia Langlois. Les zones tampons ont finalement été mises en place sous le gouvernement travailliste de Keir Starmer, entré en fonction le 6 juillet 2024.

Pour certains, il est triste que le gouvernement britannique soit obligé d’en arriver là pour protéger le droit à l’avortement. Les associations féministes s’inquiètent de la montée de l’extrême-droite et des possibles attaques de celle-ci contre les droits des femmes. En Europe, l’IVG est menacée en Hongrie et en Italie et n’est ni reconnue à Malte ni en Pologne. En France, la liberté de recourir à l’IVG a été constitutionnalisée en mars 2024, mais les groupes pro-vie continuent leurs actions. À l’occasion des 50 ans de la loi Veil, en janvier 2024, plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues de Paris dans le cadre d’une « marche pour la vie ».

Les zones tampons traduisent une volonté politique de protéger les droits des femmes tout en affirmant une position claire : l’accès aux soins médicaux ne doit pas être conditionné par des pressions sociales ou religieuses. Le Royaume-Uni, en adoptant cette mesure, pourrait inspirer d’autres pays européens confrontés à des intimidations similaires. Reste à voir si cela suffira à apaiser les tensions sur ce sujet controversé.