Le NFT du Nyan Cat a été vendu 400 000 euros fin février 2021.
Les « non-fungibles tokens”, ou titres de propriété d’objets virtuels, enflamment le web et vont jusqu’à bouleverser le marché de l’art. Décryptage.
Par Flavie Motila et Éléa N’Guyen Van-Ky
e [simple_tooltip content=’Un mème est un objet culturel, souvent humoristique, qui se diffuse rapidement au sein d’une communauté en ligne. Toute personne peut se l’approprier et créer sa propre version de l’objet.’]mème[/simple_tooltip] le plus célèbre du web, le Nyan Cat, ce petit chat anguleux qui laisse derrière lui un arc-en-ciel, a été vendu 400 000 euros fin février lors d’une enchère en ligne. Il n’est qu’un exemple d’une liste croissante d’objets numériques, qu’ils soient mèmes, gifs, œuvres d’art numériques, extraits audio ou vidéo, à avoir été vendus à une somme astronomique. Toute la question est dès lors de savoir comment des acheteurs en sont devenus les propriétaires alors que ces objets sont omniprésents sur le Web, accessibles par tous et partagés des millions de fois. La réponse est une technologie en trois lettres : les NFT, non-fungibles tokens ou, en français, jetons non-fongibles.
Il faut penser les NFT comme un certificat d’authenticité virtuel. Ce certificat est consigné dans un registre sécurisé appelé la blockchain. Il s’agit d’un réseau décentralisé qui enregistre tous les changements qui lui sont apportés. Dès qu’une vente a lieu, des informations cryptées sont répertoriées dans la blockchain, à savoir le nom du propriétaire, le nom du vendeur et la date de la vente. Ce système améliore considérablement la traçabilité d’une œuvre d’art par exemple, prouvant qu’elle est l’original et qu’elle appartient bien à son propriétaire. En inscrivant son œuvre dans la blockchain, le créateur s’engage à ne plus la reproduire.
Qui dit rareté, dit prix élevé
Infographie : Flavie Motila/EPJT
Chaque NFT est unique en son genre, d’où l’adjectif « non-fongible ». Le terme fongible indique qu’un objet, quelle que soit sa forme, a la possibilité d’être échangé ou remplacé par un autre objet ou plusieurs autres objets similaires de la même valeur. Par exemple, il est possible d’échanger un billet de 20 euros contre 10 pièces de 2 euros. À l’inverse, la non-fongibilité désigne l’impossibilité d’un objet à être échangé par un autre. Il est par exemple inenvisageable d’échanger le tableau Guernica contre un poster du même tableau. L’unicité des NFT en fait des objets virtuels rares et, par conséquent, de valeur.
Ils ont dès lors suscité un véritable engouement et leurs prix ont vite explosé. Jack Dorsey, fondateur de Twitter, a vendu son tout premier tweet, transformé en NFT, 2,3 millions d’euros. De leur côté, des amateurs du ballon rond dépensent près de 240 000 euros pour une seule carte de collection à l’effigie d’un footballeur. Pendant que des gamers acquièrent des épées virtuelles du jeu League of Legends. Du sport à la réalité virtuelle en passant par les jeux vidéo, les NFT sont partout. D’après un rapport du site spécialisé NonFungible, les ventes de NFT auraient rapporté plus de 1,6 milliard d’euros au premier trimestre 2021.
Infographie : Flavie Motila/EPJT
Si les NFT intéressent dans de nombreux secteurs de l’économie numérique, ils bouleversent particulièrement le marché de l’art, investissant désormais de grandes maisons de vente aux enchères. Le 11 mars dernier, l’œuvre numérique « Everydays : the First 5 000 Days » de l’artiste américain Beeple a été vendue 57,8 millions d’euros chez Christie’s, aux Etats-Unis. Un montant record pour ce type d’œuvre. À titre de comparaison, l’un des célèbres Nymphéas du peintre français Claude Monet a été adjugé 22 millions d’euros par la même maison en 2014, soit moins de la moitié de la somme.
Plus récemment, les galeries d’art se sont elles aussi mises à surfer sur la vague NFT : les œuvres numériques et leurs écrans 4K y côtoient désormais les toiles de Van Gogh et de Frida Kahlo. Dans cette veine, la Superchief Gallery de New York a inauguré, le 25 mars, le premier espace physique au monde consacré au « crypto-art ». Au même moment, la Chine lui dédiait une première exposition majeure. Une manière de replacer les artistes et leur travail au centre du mouvement des NFT.
Infographie : Éléa N’Guyen Van-Ky/EPJT
La place de plus en plus importante occupée par les NFT a permis au marché de l’art de se virtualiser. Une opportunité pour le secteur et ses acteurs, fragilisés depuis début 2020. En période de pandémie, alors que l’interaction sociale était mise à mal, les œuvres numériques leur ont permis de s’adapter et de continuer à fonctionner, investir, vendre.
Mais les NFT ne sont pas exempts de critiques. Face à l’envolée des prix, certains experts y voient une nouvelle bulle spéculative. Si elle explose, les NFT pourraient perdre de leur valeur et les propriétaires ne pourraient plus les revendre au prix fort. La durabilité du marché des NFT est donc questionnée. S’y ajoutent des incertitudes quant à la sécurité de la blockchain. N’importe quel individu peut se rendre sur une plateforme et prétendre avoir créé un NFT tout en mentant sur son identité. Le vendeur de l’objet numérique n’est pas forcément le créateur qu’il prétend être. Plus alarmant, ces échanges virtuels dévorent d’énormes quantités d’énergie et laissent derrière eux une empreinte carbone importante.
Tandis que certains s’inquiètent, d’autres, comme l’investisseur Jonathan Bales, y voient le futur. Le 15 janvier, il écrivait sur son blog Lucky Maverick : « Ma prédiction, c’est qu’avec les années, le consensus sur les objets numériques va passer de « ceux-ci ne valent rien et ne sont pas réels » à « c’est le meilleur moyen de vérifier la propriété, la rareté et l’authenticité ». Je suis persuadé que les NFT sont l’avenir des collections. L’aspect le plus excitant, pour moi, c’est que la fête ne fait que commencer. »