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« L’extrême droite a toujours été violente »

Manifestation de l’extrême droite, le 20 octobre 2022, après le meurtre de Lola, une enfant de 12 ans. Celle-ci avait été tuée par une ressortissante algérienne qui avait des antécédents de troubles psychiatriques. Une précédent à l’affaire Thomas, en novembre dernier. Photo : Photo Emmanuel Dunand/AFP

L’extrême droite se radicalise et multiplie les manifestations violentes. Le journaliste Christophe-Cécil Garnier décrypte le phénomène et pointe le rôle des médias dans la diffusion de ces idées.

 

Recueilli par Baptiste Villermet
Christophe-Cécil Garnier enquête sur les militants d’extrême droite depuis plus de dix ans. Photo : StreetPress.

Christophe-Cécil Garnier est rédacteur en chef adjoint du pôle enquête chez StreetPress. Il a enquêté sur les violences commises par l’extrême droite à Romans-sur-Isère, samedi 25 novembre. Près de 80 néonazis masqués et armés de barres de fer ont défilé dans les rues du quartier de la Monnaie où sont domiciliées plusieurs personnes impliquées dans le meurtre de Thomas Perotto.

La récupération de faits divers « est une constante » de la politique, selon Bruno Cautrès, enseignant à Sciences Po. Néanmoins, concernant l’affaire Thomas, une limite a été dépassée avec des actions violentes. Comment expliquez-vous cela ?

Christophe-Cécil Garnier. Je pense qu’on a déjà franchi une étape avec la mort de la petite Lola l’année dernière. Des scènes similaires de manifestations organisées par l’extrême droite avaient eu lieu. La différence est que, cette fois-ci, les militants sont passés des paroles aux actes. Ils se sont rendus dans le quartier des assassins de Thomas avec la volonté de faire justice eux-mêmes en tapant des Arabes. La responsabilité revient en partie aux politiques qui, depuis longtemps, attisent la flamme.  Le parti Reconquête d’Éric Zemmour avait déjà fait un travail de sape,

en employant régulièrement dans les médias des termes comme « grand remplacement », « guerre civile » et « francocide ».

Peut-on parler aujourd’hui d’une radicalisation des militants d’extrême droite  ?

C.-C. G. Oui, c’est certain. Ce phénomène est exacerbé par les réseaux sociaux qui mettent en relation des personnes qui habitent dans des coins isolés. Leur organisation est bien meilleure qu’avant. Mais il ne faut pas s’y méprendre, l’extrême droite a toujours été violente. Je suis aussi inquiet par la banalisation des contenus racistes qui touchent un public de plus en plus jeune. L’agressivité des réseaux sociaux s’exporte dans la rue. Le groupuscule de la Division Martel, sur lequel nous avons fait plusieurs articles, a des membres de 14-15 ans qui sont capables de mener des actions violentes. Le 20 avril dernier, ils ont tabassé des adolescents racisés devant leur établissement scolaire, à Paris. Autre exemple, le 19 mars 2022, lorsque le rugbyman Federico Martín Aramburú a été tué par balles par deux militants proches du GUD (Groupe union défense, NDLR). Pourtant, tout le monde a oublié ces événements.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé vouloir dissoudre la Division Martel ainsi que deux autres groupuscules impliqués dans l’expédition punitive de Romans-sur-Isère. Est-ce une bonne décision ? 

C.-C. G. Les dissolutions ne servent à rien. Elles n’ont qu’un effet d’annonce qui permet à l’exécutif de se faire bien voir. En réagissant à la dernière polémique, le ministre tente de calmer le jeu mais, sur le terrain, cela ne change absolument rien. Regardez la situation à Lyon. Malgré la dissolution de Génération identitaire en 2021, les militants continuent à agir sous d’autres noms. Il va se passer la même chose avec la Division Martel. Il leur suffira de trouver une nouvelle appellation pour reprendre leurs activités. Les dissolutions sont en réalité préjudiciables pour l’État car elles permettent aux groupes de passer à nouveau sous les radars du renseignement territorial.

Pensez-vous que les médias de masse ont une part de responsabilité dans la diffusion des idées d’extrême droite ?

C.-C. G. En donnant la parole, sans filtre, à des personnalités de ces milieux, les médias sont indéniablement responsables. Dans l’affaire Thomas, pourquoi l’extrême droite est-elle invitée sur les plateaux ? Parce que ses membres savent que c’est en faisant des esclandres qu’ils seront mis en avant et ils en jouent. Pourquoi donner la parole à Marion Maréchal alors que son parti (Reconquête, NDLR) n’a aucun siège à l’Assemblée nationale ? Les médias ont aussi des comptes à rendre sur les expressions employées. Pendant plus de douze heures, samedi 25 novembre, cette expédition punitive a été présentée comme une simple manifestation d’hommage à Thomas. C’est faux. On sait que les militants venaient de toute la France et qu’ils étaient armés. Même France Info est tombé dans ce piège. C’est assez symptomatique de la période dans laquelle la France s’inscrit. Les journalistes reprennent de plus en plus les éléments de langage des militants politiques. Notre travail est de prendre de la distance pour apporter une information fiable et vérifiée.

StreetPress lance une enquête participative sur l’extrême droite en France. 

Ils proposent aux internautes de « signaler ici la présence, les actions et les méfaits des groupuscules ou militants d’extrême droite. » Le média annonce la mise à disposition gratuitement, dans plusieurs mois, d’une cartographie documentée de l’extrême droite en France, des dizaines d’enquêtes sur ces groupes, leurs soutiens, leurs réseaux et leurs sources de financements. Des enquêtes en vidéo ainsi que l’enrichissement de « Faf », leur newsletter dédiée à l’extrême droite.

Nota bene : Depuis l’écriture de cette interview, le groupuscule Division Martel a été dissous en conseil des ministres le 6 décembre 2023.

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