Depuis septembre 2024, la Martinique est secouée par une vague de manifestations contre la vie chère. Les habitants dénoncent des prix bien plus élevés qu’en métropole alors que les salaires y sont plus bas. Insuffisantes, les réponses du gouvernement laissent les Martiniquais dans une impasse sociale et économique.
Par Laurane Charpentier et Charlotte Dessolin
Les prix des denrées alimentaires en Martinique sont 30 % à 42 % plus élevés que dans l’Hexagone, ce qui aggrave les difficultés des ménages les plus précaires. Le mouvement trouve un écho à Paris et en région où des rassemblements de soutien dénoncent les disparités entre les territoires ultramarins et la France hexagonale. Le revenu médian des Martiniquais est inférieur de 25 % à celui des Français de l’Hexagone.
En 2020, 27 % des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté, soit deux fois plus qu’en France hexagonale, selon l’Insee. Cette situation est amplifiée par un taux de chômage élevé (11 %), notamment chez les jeunes et les familles monoparentales, plus touchés par la précarité. Les inégalités de revenus sont également plus marquées : 10 % des Martiniquais les plus aisés gagnent au moins 4,2 fois plus que les 10 % les plus modestes.
Réalisation : Laurane Charpentier/EPJT
Cette précarité est en partie engendrée par la dépendance massive de la Martinique aux importations. L’île importe plus de 80 % de ses biens de consommation, y compris des denrées alimentaires qui pourraient être produites localement. Le port de Fort-de-France constitue un maillon essentiel de cette chaîne logistique, largement contrôlée par les Békés, descendants des colons esclavagistes, qui dominent l’import-export et la grande distribution.
Le Groupe Bernard Hayot (GBH) incarne cette emprise économique. Présent dans la grande distribution (Carrefour, Hyper U, Leader Price), l’automobile (Renault, Toyota) et le BTP, il contrôle toute la chaîne de distribution et réalise un chiffre d’affaires qui dépasse 2,5 milliards d’euros. Ce quasi-monopole lui permet d’imposer des marges élevées à chaque étape (importation, transport, stockage, vente), sans véritable transparence sur la formation des prix.
Fin février, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a lancé une enquête visant le groupe GBH pour de potentiels délits d’omission de déclaration d’activité de lobbying. La concentration du pouvoir économique exercée par les Békés accentue la pwofitasyon, un terme créole qui dénonce l’exploitation économique au détriment des Antillais.
Les manifestants critiquent également l’octroi de mer. Cette taxe sur les importations représente cependant environ 40 % des revenus des collectivités locales. Bien qu’elle soit compensée par une TVA plus faible sur certains produits, elle est critiquée pour son opacité et son rôle dans le maintien des monopoles économiques des Békés.
90% des sols contaminés au chlordécone
Autrefois florissante, l’agriculture vivrière locale, riche en tubercules, légumes et fruits tropicaux, est aujourd’hui en grande difficulté. Introduite au début du XXe siècle par les colons, la banane est devenue la principale culture d’exportation de la Martinique. Toutefois, l’utilisation du chlordécone, un pesticide employé entre 1972 et 1993 malgré son interdiction aux États-Unis dès 1976, dans les plantations a contaminé 90 % des sols de l’île.
Cette pollution limite les terres cultivables et expose la population à des risques accrus de cancers, de fausses couches et de troubles neurologiques. L’État français a reconnu sa responsabilité en 2018, mais les mesures de réparation, telles que la dépollution des terres, restent insuffisantes. Le 11 mars 2025, la cour administrative d’appel a estimé que l’État doit indemniser les victimes qui peuvent démontrer un préjudice moral d’anxiété lié à leur exposition au chlordécone.
Les sources d’eau potable sont également contaminées par le chlordécone alors que les populations locales doivent faire face à une importante crise de l’eau. En Martinique, 50 % de l’eau potable est perdue en raison d’infrastructures vétustes et d’une gestion défaillante des réseaux de distribution. Certaines communes des Antilles subissent des coupures prolongées de plusieurs jours ce qui complique l’accès à cette ressource essentielle.
Réalisation : Charlotte Dessolin/EPJT
La crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 a également mis en lumière les fragilités du système de santé local et les inégalités d’accès aux soins par rapport à la France hexagonale. Ce contexte de crises multiples nourrit une défiance grandissante envers l’État. Les Martiniquais dénoncent l’inaction des autorités locales et de l’État. Ce sentiment d’abandon est partagé par les Guadeloupéens et, de manière plus large, par les populations des territoires d’Outre-Mer.
Sous la pression populaire, l’État ouvre des négociations en octobre 2024. L’ancien ministre des Outre-mer, François-Noël Buffet, annonce en novembre un protocole contre la vie chère, prévoyant une baisse des prix sur 6 000 produits dès janvier 2025. Suspendue suite à la dissolution du gouvernement Barnier en décembre 2024, l’exemption de TVA sur 6 000 produits est finalement entrée en vigueur le 1er mars 2025.
Cependant, ces mesures sont jugées insuffisantes par le RPPRAC, qui estime qu’elles ne garantiront pas une baisse durable du coût de la vie. Lundi 17 mars, le ministre des Outre-Mer, Manuel Valls, s’est rendu en Martinique et a annoncé qu’un nouveau projet de loi contre la vie chère dans les territoires ultramarins serait proposé avant l’été.
Pour aller plus loin
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- Martinique : qui sont les békés et pourquoi sont-ils associés à la vie chère ? Comprendre en trois minutes sur lemonde.fr
- Vie chère en Martinique : 15 ans après, ce qu’enseigne le précédent de 2009 sur lehuffingtonpost.fr
- Dossier Guadeloupe et Martinique, de crise en crise sur Mediapart.fr