L’ex chancelier Olaf Scholz, au premier-plan, et Christian Lindner, son ancien ministre des Finances. Photo : Tobias Schwarz/AFP
L’Allemagne vient de vivre des élections mouvementées lors desquelles le parti d’extrême droite a triplé son score et passé la barre des 20 %. A l’origine de ces législatives, une crise économique sans précédent. Crise qui a conduit le chancelier Olaf Scholz à limoger son ministre des Finances et à rompre la coalition gouvernementale. Spécialiste de l’Allemagne contemporaine, Dominique Herbet revient sur l’origine de cette séquence politico-économique.
Recueilli par Gaël Henanff
Olaf Scholz a expliqué le limogeage du ministre des Finances en disant qu’il l’avait « trop souvent trahi ». Concrètement, quel a été l’élément déclencheur ?
Dominique Herbet. C’est une accumulation. Pour bien comprendre la situation politique actuelle, il faut s’intéresser à la crise énergétique que traverse le pays. En 2002, l´abandon du nucléaire a été acté. Ce qui a rendu le pays fortement dépendant des importations. La crise s’est aggravée avec le conflit en Ukraine. Les Allemands ont bénéficié pendant des décennies d’une énergie abondante et pas chère provenant de Russie. En 2022, les livraisons se sont arrêtées en réponse aux sanctions européennes contre Moscou. La République fédérale a alors pris des mesures comme la création de terminaux méthaniers. Ces derniers permettent de réceptionner et de transformer le gaz livré par navire sous forme liquide pour le retransformer en gaz. Mais, l’Allemagne importe ce gaz notamment des Émirats arabes unis et du Koweït. Le BSW (extrême-gauche populiste) reproche au gouvernement de nouer des relations économiques avec des pays qui ne respectent pas non plus le droit international.
« On ne peut pas considérer cela comme une crise politique majeure et dangereuse »
Quel est l’impact de la crise énergétique sur l’industrie allemande ?
D. H. Même avec les mesures du gouvernement, le prix du gaz reste très élevé. Or, l’Allemagne est une puissance exportatrice dans des domaines énergivores. Le Standort Deutschland s’en trouve donc affecté. Cette expression désigne l’Allemagne en tant que lieu de production. La qualité de la main-d’œuvre et la formation des travailleurs sont des facteurs qui devraient rendre le pays compétitif mais la crise de l’énergie fait tourner l’industrie allemande au ralenti. Le SPD (parti social-démocrate), dont est issu le chancelier et les écologistes veulent proposer un plan de relance pour éviter des licenciements en masse. D’ailleurs, le pays manque cruellement de main-d’œuvre en raison de sa démographie, en particulier de travailleurs qualifiés.
Pourquoi les libéraux s’opposent-ils à ce plan de relance ?
D. H. Olaf Scholz a limogé Christian Lindner parce qu’il l’empêchait d’adopter son plan de relance. Le FDP veut s’en tenir au « frein à la dette ». Votée en 2009 et inscrite dans la constitution, cette règle limite le déficit public annuel à 0,35 % du PIB. De plus, ils tiennent à respecter du mieux possible le traité de Maastricht qui exige notamment une dette publique inférieure à 60 % du PIB. Aujourd’hui, l’endettement de l’Allemagne est d’environ 60 %, ce qui est dérisoire par rapport à la France et bien moins élevé que ses voisins européens.
A quoi ressemblera le prochain gouvernement ?
D. H. Rappelons que les élections anticipées étaient proches de l’échéance. C’est pourquoi on ne peut pas considérer cela comme une crise politique majeure et dangereuse. Concernant la formation du nouveau gouvernement, les tractations ne font que commencer. La logique aurait voulu qu’une alliance se forme entre la CDU (Union chrétienne-démocrate) et les libéraux du FDP. Les coalitions entre la CDU et les libéraux sont une constante dans l’histoire allemande, de la création de la RFA avec Konrad Adenauer dans les années cinquante jusqu’à très récemment avec Angela Merkel.
Mais les libéraux ne seront pas au Bundestag…
Effectivement, le FDP n’a pas atteint la barre des 5 % lors de ces législatives. Le parti de Christian Lindner ne sera donc pas représenté au parlement. L’ancien ministre des Finances a déclaré se retirer de la vie politique suite à cet échec. Dans l’obligation de former un gouvernement avec au moins un autre autre parti, la CDU devrait donc se tourner vers les sociaux-démocrates du SPD.