Dans une vidéo publiée le 20 mai 2023 par le service de presse Concord, Evgueni Prigojine, fondateur de la milice Wagner, lance un appel pour rejoindre l’organisation et combattre en Ukraine. Capture d’écran du Press service of Concord.
Evgueni Prigojine et son groupe para-militaire Wagner, qui agissait jusqu’ici pour les intérêts de Vladimir Poutine, entre en rébellion et marche sur Moscou. Avant de renoncer le soir-même. Mais entre le gouvernement russe et Prigojine, la crise couvait depuis plusieurs mois.
Par Maëva Dumas et Maël Prevost
Quelques heures plus tard, Prigojine décide de marcher sur Moscou qui se barricade. Les 25 000 hommes de la milice arrivent à 400 kilomètres de la capitale russe sans que personne ne puisse dire ce qui va advenir de cette équipée. Vladimir Poutine fait une courte déclaration à la télévision.
Le soir-même, nouveau coup de théâtre. Prigojine demande à ses troupes de rentrer dans le camp pour « éviter que coule le sang russe ». C’est Alexandre Loukachenko, le président biélorusse, qui a négocié son retrait contre une immunité pour les soldats rebelles et leur chef.
« Où sont ces putains d’obus ! »
Cela fait plusieurs semaines que la colère couvait entre Prigojine et l’état-major russe. Le premier éclat à lieu le vendredi 5 mai 2023. « Où sont ces putains d’obus, hurle Evgueni Prigojine dans une vidéo postée sur Twitter en s’adressant au gouvernement russe. Durant plusieurs minutes, il l’accuse de ne pas lui avoir livré « 70 % des munitions nécessaires » à son groupe de mercenaires qui se bat à Bakhmout (Ukraine), ce qui l’empêcherait ainsi de faire tomber la ville-forteresse.
Révélant les tensions entre Evgueni Prigojine et l’État-major russe, la vidéo souligne aussi les relations particulières de Wagner avec le pouvoir russe. Depuis plusieurs années, la milice opère sur différents conflits à travers la planète et ce dans la plus grande discrétion. Représentant officieusement les intérêts de la Russie, elle est devenue au fil du temps un atout important dans la politique extérieure de Vladimir Poutine.
Le nombre de ses membres ou encore les liens de son créateur, Evgueni Prigojine, avec le pouvoir russe restent difficiles à définir, lui-même ayant nié très longtemps être à sa tête. Il est cependant certain que la présence de la milice en Ukraine joue un rôle déterminant dans la position actuelle de la Russie. Entre tortures, influences et recherche de pouvoir, Wagner s’est rapidement implanté comme un acteur majeur du conflit.
Pour comprendre l’influence de Wagner auprès du pouvoir russe, il faut d’abord comprendre son histoire. Oligarque russe à la tête de plusieurs restaurants, il est devenu un ami proche de Vladimir Poutine dans les années quatre-vingt-dix alors que celui-ci débutait en politique.
Timeline Maeva Dumas/EPJT
Dernièrement présente à l’est de l’Ukraine, notamment dans les régions de Lougansk et de Donesk, mais aussi au sud du pays, dans les zones de combats autour de Kherson, la milice est forte de plusieurs milliers d’hommes. Tortures, actes de violence, meurtres de déserteurs, elle fait régner un régime de terreur sur la population ukrainienne.
Ses combattants, qui sont essentiellement des anciens militaires russes qui cherchent à faire fortune, sont aussi pour certains recrutés directement au sein des prisons russes. Dans une vidéo publiée le 14 septembre 2022 par Wagner, Evgueni Prigojine proposait un deal à des centaines de détenus :
« Si vous faites six mois en Ukraine, vous êtes libres. Mais si vous en arrivez et que vous décidez que ce n’est pas pour vous, nous vous exécuterons. »
Les prisonniers avaient alors cinq minutes pour faire un choix et il leur était indiqué que la désertion ou la capture par l’ennemi étaient impossibles. Les miliciens recrutés n’ont alors pas d’autre choix : vaincre ou périr.
Cependant, malgré cette importante main-d’œuvre de l’horreur, l’armée secrète subit aussi de très nombreuses pertes depuis plusieurs mois. Le 5 mai 2023, le porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby, annonçait que les services de renseignements américains dénombraient pas moins de 20 000 soldats russes tués en Ukraine depuis décembre 2022.
La plupart d’entre eux étaient des mercenaires de la milice. Les dix mois d’assauts de Bakhmout ont décimé celle-ci. Et au printemps, le ministère de la Défense s’est arrogé le monopole du recrutement en prison. Lui coupant sa principale source de recrutement.
Au lendemain de son premier coup d’éclat en vidéo, Prigojine s’adresse dans une nouvelle vidéo à Vladimir Poutine. Il réclame l’autorisation de l’armée russe à céder ses positions à Bakhmout aux troupes du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov.
Vidéo Euronews
Quelques jours plus tard, le 20 mai 2023, Evgueni Prigojine revendiquait, dans une nouvelle vidéo, le contrôle total de Bakhmout. Si l’information est rapidement démentie par les forces ukrainiennes, cette prise de parole démontre l’influence de Wagner dans le conflit et auprès de l’état-major russe.
Le pouvoir de la milice suscitait ces derniers temps des inquiétudes chez Vladimir Poutine et son gouvernement. En clamant régulièrement sa puissance et le fait d’être indispensable à l’armée régulière en Ukraine, Wagner était susceptible de s’attirer les foudres du président russe en le provoquant.
La mise au pas semblait avoir commencé. Samedi 17 juin 2023, le vice-ministre de la défense, Nikolai Pankov, déclarait que les « formations volontaires » devaient désormais signer des contrats avec le ministère de la Défense pour pouvoir exercer leurs activités. Furieux de cette annonce, Evgueni Prigojine s’est empressé de répondre le lendemain en indiquant que Wagner boycotterait les contrats.
Alors que va-t-il se passer maintenant pour la milice Wagner. Il est probable qu’elle rentre dans le rang de l’armée. Mais après le coup d’éclat de Prigojine, les questions dépassent largement l’avenir de la seule milice.
Pour aller plus loin
- Qui est Evgueni Prigojine, le « cuisinier de Poutine » devenu chef de guerre en Ukraine ? sur podcasts.leparisien.fr .
- Ukraine : le chef de la milice Wagner commente l’exécution présumée d’un soldat accusé de désertion sur le parisien.fr .
- Le chef de Wagner dément avoir proposé des informations sur les troupes russes à l’Ukraine sur courrierinternational.com (abonnés) .
- Le groupe Wagner revendique la prise de Bakhmout, l’Ukraine dément sur france24.com
- En Sibérie, un cimetière de soldats de Wagner. Un reportage d’Arte, disponible jusqu’en avril 2024
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« Cinq leçons des vingt-quatre heures de la rébellion Wagner ». Le Monde (payant)
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Rébellion de Wagner : les questions qui se posent après la tentative avortée d’Evguéni Prigojine. Francinfo