Plus de deux ans et demi après le début du soulèvement en Tunisie, en décembre 2010, qui s'est ensuite propagé à toute la région, le point sur la situation en Tunisie, en Egypte et en Libye.
Fiche réalisée par Aliénor Carrière (@Alienor_Carr)
Tunisie
Démographie : 10 millions d’habitants
Le soulèvement et le départ de Ben Ali
Décembre 2010 : Soulèvement populaire après l'immolation par le feu d'un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes de Sidi Bouzid, dans le centre-ouest du pays. Symbole de la jeunesse tunisienne en colère, la mort de Mohamed Bouazizi va déclencher des manifestations incessantes, qui atteindront Tunis le 11 janvier, réprimées par les forces du gouvernement.
14 janvier 2011 : départ de Ben Ali, après vingt-trois ans au pouvoir.
La mise en place du nouveau système politique
Progression d'Ennahda : Le mouvement Ennahda commence à se faire reconnaître du grand public, surtout après sa légalisation officielle le 1er mars 2011. Signe du changement politique en Tunisie, différentes mouvances politiques sont progressivement autorisées, tandis que le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Ben Ali est dissous. Le 7 mars, un nouveau gouvernement se forme duquel les anciens caciques du régime Ben Ali disparaissent.
Retour des exilés politiques : Un gouvernement par intérim va se mettre en place, laissant l'équipe sortante aux postes clés. Cependant la pression du peuple à l'encontre de ce gouvernement s'accentue fin janvier. Tandis que des prisonniers politiques sont amnistiés en février 2011, d'anciens exilés reviennent en Tunisie après des années de dictature. C'est le cas de Rachid Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahda.
Vote pour l'Assemblée Constituante : Les premières élections libres n'auront lieu que le 23 octobre 2011. Le parti islamiste Ennahda remporte 89 sièges sur 217. Les élections obligent la formation d'un gouvernement à 3 avec le CPR, Ennahda et Ettakol.
22 novembre 2011 : l’Assemblée Constituante élit son président, Mustapha Ben Jaâfar, président du parti Ettakatol. Le fondateur et secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL ou Ettakatol) a débuté en politique dans les années 1960, lorsqu'il était étudiant à la faculté de médecine, à Paris. Le parti Ettakatol est membre observateur de l'Internationale Socialiste.
12 décembre 2011 : Moncef Marzouki (CPR) est élu président de la République par les membres de la Constituante. Défenseur des droits de l'homme, Moncef Marzouki était un opposant de la première heure au régime Ben Ali. Il avait créé le Comité national pour la défense des prisonniers d'opinion en 1993 qui fut aussitôt déclaré illégal. Longtemps installé en France en tant qu'exilé politique, il continue de présider le Congrès pour la République.
Le Président Marzouki charge ensuite Hamadi Jebali (parti Ennahda) de constituer un gouvernement. Il présente son nouveau gouvernement à l’Assemblée constituante, le 22 décembre 2011.
Début 2013 : Tensions politiques
L’opposant tunisien de gauche Chokri Belaïd a été abattu mercredi 6 février devant son domicile à Tunis. Dès l’annonce officielle de sa mort, plusieurs rassemblements ont eu lieu devant le ministère de l’Intérieur. L’assassinat n’a pour le moment pas été revendiqué mais les islamistes d’Ennahda, l’un des partis au pouvoir, sont clairement visés par les manifestants et la famille de Chokri Belaïd. Ces derniers ont attaqué plusieurs locaux du parti dans différentes villes (Sidi Bouzid, Gafsa…).
Le Premier ministre tunisien, l'islamiste Hamadi Jebali, annonce ensuite vouloir former un gouvernement de “technocrates apolitiques”, chargé de “la gestion des affaires du pays jusqu'à la tenue d'élections dans les plus brefs délais”. Faute de parvenir à un compromis sur la distribution des ministères régaliens, Hamali Jebali, a démissionné mardi 19 février. Le président de la République, Moncef Marzouki, a nommé vendredi le ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh.
Le nouveau premier ministre doit notamment faire face à une vague de violence des salafistes radicaux, jusque là tolérés. Le gouvernement tunisien a changé de discours en qualifiant l’organisation salafiste Ansar Al-Charia (signifiant en arabe « les Partisans de la loi islamique ») de "terroriste".
Ce revirement politique intervient après que 16 militaires aient été blessés fin avril par des mines posées à la frontière algérienne et après l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis le 14 septembre à Tunis : deux attentats attribués aux salafistes. Ce même mouvement menaçait de « guerre » le gouvernement tunisien la semaine dernière.
Cette annonce a inquiété les autorités qui ont alors interdit le congrès des salafistes à Kairouan, au centre de la Tunisie, pour des raisons de sécurité. Malgré cette décision officielle, les dirigeants du mouvement ont décidé du maintien de ce rassemblement en banlieue de Tunis cette fois, entraînant des heurts entre policiers et manifestants dimanche 19 mai. Alors que les manifestants érigeaient des barricades de pneus en feu, les forces de l'ordre envoyaient des gaz lacrymogènes pour les disperser. Suite à ces affrontements, un manifestant a été tué par balle et dix-huit personnes, dont quinze policiers, ont été blessées.
Le spectre de Ben Ali
L’ancien président Zine El Abidine Ben Ali a été condamné en juin par contumace à vingt ans de prison par le tribunal militaire de Tunis pour "incitation au désordre, meurtres et pillages sur le territoire tunisien", faisant notamment référence aux 4 personnes tuées en tentant d’empêcher la fuite des membres de la famille Ben Ali. En juillet 2012 il a été condamné par contumace à la prison à perpétuité pour complicité de meurtre de 43 manifestants durant le soulèvement populaire qui l’a renversé. Ben Ali avait déjà cumulé les condamnations pour détournements de fonds trafic de drogue, abus de biens publics.
Alors qu’un mandat d’arrêt international demande son extradition, l’Arabie Saoudite, où la famille Ben Ali s’est réfugiée, fait la sourde oreille.
Egypte
Pays le plus peuplé du monde arabe : 81 millions d’habitants.
Chronologie rapide de la révolution
Début le 25 janvier 2011: inspirés par l'exemple tunisien, quelques milliers de jeunes égyptiens manifestent au Caire pour des réformes politiques et sociales, après un appel lancé par le biais de Facebook. Ils réclament la démission du président Hosni Moubarak.
La contestation est entretenue par les cyber-activistes qui encouragent les manifestants à se réunir place Tahrir. Alors que la révolte s'étend, et que des mouvements de grève se multiplient, notamment à Port-Saïd et à Suez, Moubarak annonce qu'il transfère ses pouvoirs au vice-président avant d’abandonner le pouvoir le 11 février 2011. Après 30 ans au pouvoir, il démissionne et remet le pouvoir à l'armée.
Le Conseil Suprême des forces armées (CSFA) dirigeait donc le pays depuis la chute de l’ancien raïs. L’ancien président égyptien sera condamné à la prison à vie pour le meurtre de manifestants lors de la révolte de 2011. Il assistait à son procès (d’une durée de 10 mois) allongé sur une civière pour des problèmes de santé.
Elections présidentielles
Le premier tour de la présidentielle a eu lieu le 23 mai et le 16 juin 2012. Mohammed Morsi, candidat des Frères musulmans est déclaré vainqueur en juin avec 13 millions de voix, contre 12 millions pour son rival Ahmad Chafiq (ancien Premier Ministre d’Hosni Moubarak).
Mohammed Morsi : Islamiste conservateur. Il est devenu ingénieur après avoir étudié aux Etats-Unis. Il n’était que le second choix du parti, avant que la candidature de Khaïrat al-Charter soit invalidée par la commission électorale égyptienne. C’est aussi un militant du Comité de résistance au sionisme (anti-israélien).
Frères musulmans : constituent la principale force politique du pays après avoir été longtemps interdit en Egypte (50 ans durant – relativement tolérée sous Moubarak). Le plus ancien mouvement de l’islamisme sunnite. N’ont pas été les moteurs de la Révolution de 2011. Parti qui prône fusion du religieux et du politique. Créé en 1928 par Hassan al-Banna.
- Voir l'infographie du Monde.fr : La longue marche des Frères musulmans en Egypte
L'Assemblée Constituante et le projet de Constitution
Après la chute du régime, l'état-major militaire a nommé une commission de juristes chargée de présenter des amendements à la Constitution visant à la démocratisation des institutions de pays. Le 19 mars 2011, les Egyptiens votaient massivement "oui" lors d'un référendum sur la révision de la Constitution, validant une transition vers un pouvoir civil élu. A cette occasion, une Assemblée Constituante a été formée, capable de rédiger une nouvelle constitution en préservant les acquis de la Révolution.
Ce référendum est le prélude aux élections législatives de début 2012, et à l’élection présidentielle de 2012.
Une commission chargée de rédiger la nouvelle Constitution a été élue le 12 juin 2012 lors d'une réunion commune du Parlement et du Sénat égyptiens, qui ont désigné ses cent membres. Cette commission est alors majoritairement composée d’islamistes. En octobre, le boycott du travail de rédaction par l’opposition libérale et laïque dénonce cette omniprésence islamiste qui privilégie la charia.
Un référendum est prévu pour décembre. La fronde des magistrats, chargés de surveiller les scrutins, oblige les autorités à procédé en deux temps à ce référendum sous haute-tension, les 15 et 22 décembre 2012. A l’issue de ce scrutin, les autorités annoncent l’adoption de la Constitution avec 63% des voix. L’opposition (principalement le Front du salut national (FSN), coalition rassemblant des mouvements de gauche, laïques et libéraux) dénonce des fraudes.
- Lire "Egypte : adoption du projet de Constitution soumis à référendum" sur LeMonde.fr
Les élections législatives de fin 2011-début 2012
L’Egypte a voté pour élire ses députés et sénateurs au début de l’année 2012. Le but était de former une nouvelle Assemblée du peuple, remplaçant celle dissoute le 13 février 2011 par l’armée.
Les élections se sont déroulées entre fin décembre 2011 et début janvier 2012. Les résultats ont donné le parti de la liberté et de la justice (PLJ) issu de la confrérie des Frères musulmans vainqueur avec 47% des sièges de députés. Son secrétaire général Saad al-Katatni devient alors le Président de cette Assemblée.
Cependant l’Assemblée du peuple a été dissoute en juillet suite à une décision de la Haute cour constitutionnelle qui jugeait illégal la formation de la commission constitutionnelle.
Prévues pour avril 2013, les nouvelles élections législatives ont été repoussées par le gouvernement à l’automne 2013.
Menaces sur la démocratie et affrontements meurtriers
Le 21 novembre, le président Morsi a annoncé un décret empêchant toute contestation en justice des décisions présidentielles dans l'attente de l'élection d'un nouveau Parlement. Morsi cherchait ainsi à élargir ses pouvoirs, puis à destituer le procureur général du pays afin de se placer au dessus de la justice.
Cette déclaration a entraîné des incidents violents lors de manifestations dénonçant l’action du "nouveau pharaon" Morsi. Finalement il retire fin décembre ce décret par lequel il s’était octroyé des pouvoirs renforcés.
Début janvier, la condamnation à mort de 21 personnes, qui avaient participé à une bousculade meurtrière dans un stade de football en février 2012, ne va pas améliorer la situation : Port-Saïd et le Caire sont le théâtre d’émeutes violentes, conduisant à la mort d’au moins 47 personnes. Ces violences ont été alimentées par une forte contestation de Mohamed Morsi, accusé d’autoritarisme, dans un contexte économique difficile.
- Lire “En Egypte, Port-Saïd sombre dans le sang” sur Libération.fr
- Lire “Morsi, un président en perdition” sur Libération.fr
Le coup d’Etat du 3 juillet
Un an jour pour jour après l’investiture de Mohamed Morsi, plusieurs centaines de milliers d’Egyptiens sont descendus dans la rue pour demander la démission leur président, qu’ils accusent d’avoir autoritairement adopté une nouvelle Constitution.
De violents affrontements entre partisans et opposants font 16 victimes et au moins 800 blessées. Les ministres de Morsi démissionnent dans la foulée, puis l’armée lance un ultimatum aux responsables politiques : au bout de 48h et malgré le rejet de cet ultimatum par le gouvernement, le chef d'état-major, Abdel Fattah Al-Sissi annonce à la télévision que la Constitution est suspendue et que Mohamed Morsi est remplacé par le président de la Haute Cour constitutionnelle, Adly Mansour.
- Voir la chronologie du Monde.fr : “Egypte : les quatre jours qui ont vu tomber Morsi”
La crise politique menace de tourner à la guerre civile. Les manifestations continuent à l'appel des Frères Musulmans qui réclament le retour de Morsi en tant que président légitimement élu.
Lundi 8 juillet, des soldats ont ouvert le feu sur des manifestants pro-Morsi près du quartier général de la Garde républicaine, au Caire, où est détenu l’ancien président. Adly Mansour a promis l'ouverture d'une enquête indépendante après ces incidents.
Adly Mansour nomme Hazem El-Beblaoui, Premier ministre de transition. Le plan de transition politique du pays prévoit de rédiger une nouvelle Constitution, qui devra être approuvée aussi par référendum, et estime de futures élections parlementaires début 2014 au plus tôt et une élection présidentielle par la suite.
- Lire “En Egypte, le plan de transition critiqué de toutes parts” sur LeMonde.fr
Le "Front du 30 juin", qui rassemble les mouvements les plus importants hostiles à Morsi, choisit le Prix Nobel de la Paix 2005 Mohamed El-Baradei pour le représenter. L'ancien directeur général de l'agence internationale de l'énergie atomique devient par la suite vice-président, faute de pouvoir devenir Premier Ministre.
Libye
Contexte de la révolution
Après l’insurrection et les manifestations au début de l’année 2011 contre le régime de Mouammar Kadhafi (au pouvoir en Libye depuis 1969), l’intervention de l’Otan à partir du 19 mars 2011 à l’initiative de la France a conduit à la chute du régime du Guide et à sa mort.
Situation actuelle
Juillet 2012 : Des élections pour former une Assemblée nationale (appelée le congrès général national (CGN)) ont eu lieu dans tout le pays.
La victoire revient à l’Alliance des Forces Nationales (AFN – une coalition de petits partis libéraux) avec 39 sièges sur les 80 réservés aux partis politiques. Le Parti de la justice et de la construction (PJC – issu des Frères musulmans) arrive 2nd avec 17 sièges.
A cela s’ajoutent 120 sièges pour des indépendants.
Août 2012 : Le Conseil national de transition (CNT) a remis ses pouvoirs à l’Assemblée issue des élections.
Mohamed al-Megaryet : Président de l’Assemblée (le CGN)
Octobre 2012 : Ali Zeidan est élu Premier Ministre.
La situation n’est pourtant pas stabilisée. L’épuration des anciens du régime Kadhafi pose encore problème. A Tripoli, l'obsession Kadhafi se ressent jusque dans les tags sur les murs de la ville.
Les milices font régner l’insécurité, comme l’ont montré les attaques envers le consulat américain de Benghazi (18 septembre – tuant l’ambassadeur Christopher Stevens) ou l’ambassade de France à Tripoli (23 avril). Les experts estiment qu’il s’agit de "punitions" envers ces pays de l’Otan intervenus en Libye ou plus récemment au Mali.
Fiche réalisée par Aliénor Carrière (@Alienor_Carr)